Interface V2.03


Traduction et notes de phil.ae © 2007

Quand licol et entrave ont glissés, on ne poursuit pas avec une cravache mais avec de l'herbe tendre.
Proverbe punjabi


Après le mariage arrive une réaction, parfois une grande, parfois une petite ; mais elle vient tôt ou tard, et doit être surmontée par les deux parties si elles désirent passer le reste de leurs vies ensemble.

Dans le cas des Cussack-Bremmil cette réaction ne survint pas avant la troisième année du mariage. Bremmil était dur à tenir la plupart du temps ; mais il fut un bon mari jusqu'à ce que le bébé meure et que Mme Bremmil se mette à porter du noir, à dépérir et à mener le deuil comme si l'Univers entier s'était effondré. Peut-être Bremmil aurait-il dû la réconforter. Il a essayé de le faire, mais plus il la réconfortait et plus Mme Bremmil s'affligeait et, par conséquent, plus Bremmil ressentait de malaise. Le fait est que tous deux avaient besoin d'un tonique. Et ils l'ont eu. Mme Bremmil peut se permettre d'en rire maintenant, mais elle n'en eut pas le cœur à l'époque.

Mme Hauksbee apparut à l'horizon ; et là où elle se trouvait il y avait forte chance d'embarras. À Simla son surnom était « le pétrel », l'oiseau des tempêtes. Elle a remporté ce titre à coup sûr cinq fois, à ma propre connaissance. C'était une femme petite, brune, mince — presque trop — qui roulait de grands yeux bleu-violet, et avait les meilleures manières du monde. Il vous suffisait de mentionner son nom lors du thé de l'après-midi pour que chaque femme dans la pièce se lève et ne la bénisse pas. Elle était intelligente, spirituelle, brillante, et avait de l'esprit plus qu'il n'en fallait ; mais elle était possédée par de nombreux démons malicieux et méchants. Cependant, elle aurait pu être sympathique, même vis-à-vis de son propre sexe. Mais ceci est une autre histoire.

Bremmil perdait pied après la mort du bébé et le grand malaise qui s'ensuivit, et Mme Hauksbee l'annexa. Elle ne prenait pas plaisir à cacher ses captifs, aussi elle l'annexa publiquement, et vit que le public l'avait vu. Il chevauchait avec elle, et se promenait avec elle, et discutait avec elle, et pique-niquait avec elle, et prenait des collations au Peliti avec elle, au point que les gens haussaient les sourcils en disant « Révoltant ! » Mme Bremmil restait à la maison, tournant autour du maillot du bébé mort et pleurant dans le berceau vide. Elle ne se souciait pas de faire quoi que ce soit d'autre. Mais huit affectueuses dames, ses plus chères amies, sont venues expliquer en détail la situation, pour le cas où elle aurait manqué de discernement. Mme Bremmil les écouta tranquillement, et les remercia de leurs bons offices. Elle n'était pas aussi habile que Mme Hauksbee, mais elle n'était pas folle. Elle avait gardé son propre avocat, et n'a pas parlé à Bremmil de ce qu'elle avait entendu. Cela vaut la peine de se le rappeler. Parler à — ou pleurer sur — un mari n'a jamais rien donné de bon jusqu'à présent.

Quand Bremmil était à la maison, ce qui n'était pas souvent, il était plus affectueux qu'à l'ordinaire ; et cela dévoilait son jeu. L'affection était forcée, d'une part pour soulager sa propre conscience, d'autre part pour apaiser Mme Bremmil. Il échouait des deux côtés.

Alors arriva une carte disant que « Les A. D. C. de Réserve sont commandés par leurs excellences, Lord et Lady Lytton, d'inviter M. et Mme Cusack-Bremmil à Peterhof le 26 juin à 9:30 du soir.  » — « Bal » était inscrit dans le coin en bas à gauche.

— Je ne peux pas y aller, » dit Mme Bremmil, « c'est trop tôt après la pauvre petite Florrie... Mais que cela ne t'empêche pas, Tom.

Elle pensait ce qu'elle avait dit, et Bremmil dit qu'il irait juste pour faire une apparition. Ainsi il parla de la chose qui n'était pas ; et Mme Bremmil le savait. Elle avait deviné — une intuition de femme est beaucoup plus précise qu'une certitude d'homme — qu'il avait dit cela avant tout pour y aller, et y aller avec Mme Hauksbee. Elle s'assit et réfléchit, et le résultat de ses réflexions fut que le souvenir d'un enfant mort était considérablement plus faible que l'affection d'un mari vivant. Elle élabora son plan et se prépara elle-même pour l'exécuter. Pendant cette heure-là, elle découvrit qu'elle connaissait Tom Bremmil en profondeur, et que cette connaissance allait lui servir.

— Tom,  » dit-elle au soir du 26, « je vais dîner au Longmore. Vous feriez mieux de dîner au Club.

Cela évitait à Bremmil de trouver un prétexte pour sortir et dîner avec Mme Hauksbee, et il lui en fut reconnaissant, tout en se sentant peu fier en même temps — ce qui est sain. Bremmil quitta la maison à cinq heures, à cheval. Environ une demi-heure plus tard, un grand panier couvert de cuir arrivait de chez Phelps pour Mme Bremmil. Elle était femme à savoir s'habiller, et elle n'avait pas eu besoin d'une semaine pour concevoir cette robe, avec godets, ourlets, chevrons, guimpe et plis (ou quels que soient les termes) et l'avoir pour rien. C'était une magnifique robe de léger deuil. Je ne peux pas la décrire, mais c'était ce que The Queen appelait « une création » — une chose qui vous frappait entre les deux yeux et vous coupait le souffle. Elle n'avait pas vraiment le cœur à ce qu'elle faisait, mais en se regardant dans le long miroir, elle eut la satisfaction de savoir qu'elle n'avait jamais parue aussi bien de sa vie. C'était une grande blonde et, quand elle le voulait, son allure était superbe.

Après le dîner au Longmore elle arriva au bal — un peu en retard — et rencontra Bremmil avec Mme Hauksbee à son bras. Elle en rougit, et comme les hommes l'entouraient pour réserver ses danses, elle avait l'air magnifique. Elle remplit tout son carnet de bal, excepté trois danses, et celles-ci, elle les laissa en blanc. Mme Hauksbee croisa son regard une fois ; et elle sut que c'était la guerre — la vraie guerre — entre elles. Elle-même abordait cette lutte avec un handicap, car elle avait un peu trop entrepris de commander Bremmil pour entrer dans le monde et il commençait à s'en irriter. De plus, il n'avait jamais vu son épouse aussi séduisante. Il la regardait par les portes entrouvertes, et quand elle passait avec ses partenaires, et plus il la regardait, plus il était attiré. Il avait du mal à croire que c'était là la femme aux yeux rouges et en robe noire qui avait l'habitude de pleurer sur les œufs au petit déjeuner.

Mme Hauksbee fit de son mieux pour le retenir, mais, après deux tours, il se dirigea vers sa femme pour lui demander une danse.

— Je crains que vous n'arriviez trop tard, Monsieur Bremmil, » dit-elle, les yeux scintillants.

Alors il la supplia de lui accorder une danse, et, par une grande faveur, elle lui promit la cinquième valse. Par chance « Cinq » restait vacant sur son programme. Ils valsèrent ensemble, et il y eut un peu de flottement dans la salle. Bremmil avait vaguement l'impression que son épouse savait danser, mais il n'avait jamais su qu'elle le faisait si divinement. À la fin de cette valse, il en demanda une autre — comme une faveur, non comme un droit ; et Mme Bremmil dit « Montrez-moi votre programme, mon cher ! » Il le lui montra comme le ferait un mauvais élève pris avec des friandises par un maître d'école. Il y avait un fort saupoudrage de « H » dessus, sans compter un « H » pour le souper. Mme Bremmil ne dit rien, mais sourit avec dédain, biffa de son crayon « Sept » et « Neuf » — deux « H » — et rendit la carte avec son propre nom écrit dessus — un petit nom familier que seuls elle et son mari utilisaient. Ensuite elle pointa son index sur lui et dit en riant : « Oh, vous êtes un stupide... stupide garçon !

Mme Hauksbee entendit cela, et — maîtresse d'elle-même — estima qu'elle avait perdu. Bremmil accepta « Sept » et « Neuf » avec gratitude. Ils dansèrent « Sept » et s'assirent pour « Neuf » dans une des petites tentes. Ce que Bremmil dit et ce que Mme Bremmil fit ne regarde personne.

Quand l'orchestre entama « Le bœuf rôti de la Vieille Angleterre », tous deux sortirent dans la verandah, et Bremmil envoya chercher le dandyde son épouse (c'était avant les jours des 'rickshaws) pendant qu'elle allait au vestiaire. Mme Hauksbee arriva et dit : « Vous m'emmenez au souper, je pense, M. Bremmil ? » Bremmil rougit et paru affolé, « Ah — H'm ! Je vais à la maison avec mon épouse, Mme Hauksbee. Je crois qu'il y a eu une petite erreur. » Etant un homme, il parlait comme s'il pensait que Mme Hauksbee fut entièrement responsable.

Mme Bremmil sortit du vestiaire dans une houppelande bordée de plumes de cygne, une voilette de gaze blanche en nuage autour de sa tête. Elle avait l'air radieuse ; et elle en avait le droit.

Le couple disparut ensemble dans l'obscurité, Bremmil chevauchant tout près du dandy.

Alors Mme Hauksbee — elle semblait un peu fanée et harassée dans la lumière de la lampe — me dit : « Prenez mes mots pour ce qu'ils sont, la plus sotte des femmes peut diriger le plus intelligent des hommes ; mais il faut une femme très intelligente pour diriger un fou. »

Nous entrâmes pour le souper.




Notes.


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