KIM![]() Chapitre VII |
Table des matières |
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Pour qui ces lourds soleils en suspension
Entourés de folles lunes et d'étoiles chassant les étoiles ? Glisse-toi au milieu approche avec discrétion. Le Ciel a de nobles guerres et la Terre de plus viles. Héritier de ces désordres, de ces peurs, de ce combat (Du péché d'Adam, des pères, du tien, toujours esclave), Lève les yeux, tire ton horoscope et dis, Le fil fragile de ton destin, quelle planète le bénit ou le maudit ? | |
![]() « Maintenant, je paie, dit Kim royalement, et maintenant j'ai besoin que tu m'écrives une autre lettre. Mahbub Ali est à Umballa », dit l'écrivain avec prévenance. Ses fonctions en faisaient un véritable bureau général de faux renseignements. « Ce n'est pas pour Mahbub, mais pour un prêtre ; prends ta plume et écris vite « À Teshoo Lama le saint du Bhotiyal à la recherche d'une Rivière, qui est maintenant dans le temple des Tirthankaras, à Bénarès. » Prends plus d'encre ! « Dans trois jours je vais à Nucklao à l'école de Nucklao. Le nom de l'école est Xavier. Je ne sais pas où est cette école, mais c'est à Nucklao. » Mais je connais Nucklao, interrompit l'écrivain. Je connais l'école. Dis-lui où elle est, je te donnerai un demi-anna. » Le roseau gratta avec ardeur. « Il ne pourra pas se tromper. (L'homme releva la tête.) Qui est-ce qui nous guette de l'autre côté de la rue ? » Kim leva vivement les yeux et aperçut le colonel Creighton en tenue de tennis. « Oh ! c'est je ne sais quel sahib qui connaît le gros prêtre à la caserne. Il me fait signe. Que fais-tu là ? » dit le colonel. Kim arrivait au petit trot. « Je je ne me sauve pas. J'envoie une lettre à mon Saint Homme, à Bénarès. Je n'avais pas songé à cela. As-tu dit que je t'emmène à Lucknow ? Non, je ne l'ai pas dit. Lisez la lettre si vous en doutez. Pourquoi donc as-tu omis mon nom en écrivant à ce Saint Homme ? » Le colonel eut un sourire singulier. Kim prit son courage à deux mains : « On m'a dit une fois qu'il n'était pas à propos de nommer par écrit les étrangers mêlés à une affaire, parce que, en citant des noms, on amène la ruine de beaucoup de plans excellents. Tu as reçu de bonnes leçons, répliqua le colonel (et Kim rougit). J'ai laissé mon étui à cigares sous la véranda du prêtre. Apporte-le chez moi dans la soirée. Où est la maison ? » demanda Kim. Son esprit alerte lui laissait deviner quelque épreuve, et il se tenait sur ses gardes. « Tu demanderas à n'importe qui dans le grand bazar. » Le colonel s'éloigna. « Il a oublié son étui à cigares, dit Kim en revenant. Il faut que je le rapporte ce soir. C'est tout pour ma lettre, sauf qu'il faut mettre trois fois : « Viens à moi ! Viens à moi ! Viens à moi ! » Maintenant, je vais te payer un timbre pour mettre la lettre à la poste. » Il se leva pour partir, et, comme s'il n'y pensait qu'à présent, il demanda : « Qui est-ce, ce sahib à l'air en colère qui a oublié l'étui à cigares ? Oh ! ce n'est que Creighton sahib un sahib très distrait, qui est colonel sahib sans régiment2. De quoi s'occupe-t-il ? Dieu sait ! Il est toujours à acheter des chevaux qu'il ne peut pas monter, et à poser des questions sur les œuvres de Dieu, les plantes, les pierres ou les coutumes des gens. Les marchands l'appellent le père des fous parce qu'il se laisse rouler à propos de chevaux si facilement. Mahbub Ali prétend qu'il est plus fou que tous les autres sahibs. Oh ! » dit Kim, et il s'en fût. Il devait à son éducation quelque connaissance des caractères, d'où ce raisonnement : qu'on ne communique pas à un fou des renseignements aboutissant à la mobilisation de huit mille hommes sans compter les canons. Le commandant en chef de toute l'Inde ne parle pas, sur le ton dont Kim l'avait entendu parler, à un fou. Pas plus que le ton de Mahbub Ali n'eût changé, comme cela arrivait chaque fois que revenait le nom du colonel, si le colonel eût été fou. Donc et cette pensée fit sauter Kim de joie il y avait là quelque mystère, et Mahbub Ali espionnait probablement pour le compte du colonel, comme lui, Kim, avait espionné pour le compte de Mahbub. Et, à l'instar du maquignon, le colonel estimait évidemment les gens qui ne se piquaient pas de montrer trop d'adresse. Il s'applaudit de n'avoir pas laissé voir qu'il connaissait la maison du colonel ; et lorsque, en rentrant au quartier, il découvrit qu'on n'y avait oublié nul étui à cigares, il rayonna de joie. C'était là un homme selon son cœur un personnage compliqué et retors, meneur d'un jeu caché. Eh bien, si c'était un fou, Kim le valait. Il garda pour lui ses pensées au cours des trois longues matinées où le père Victor l'entretint d'une série entièrement nouvelle de dieux et demi-dieux principalement d'une déesse appelée Marie, qui lui parut ne faire qu'une avec la Bibi Miriam3 de la théologie de Mahbub Ali. Il ne trahit aucune émotion quand, après l'homélie, le père Victor le traîna de boutique en boutique pour lui acheter les différents articles de son trousseau, pas plus qu'il ne se plaignit quand les tambours envieux lui donnèrent des coups de pied parce qu'on l'envoyait à une école supérieure ; il se contenta d'attendre, de toute sa curiosité éveillée, le jeu des événements. Le père Victor, bonne âme, le conduisit à la gare, l'installa dans un compartiment de seconde vide, voisin de celui de première du colonel Creighton, et lui dit adieu avec une émotion sincère. « Ils feront de toi un homme, O'Hara, à Saint-Xavier un homme blanc, et, j'espère, un brave homme. Ils sont prévenus de ton arrivée, et le colonel va veiller à ce que tu ne te perdes ni ne t'égares en route. Je t'ai donné une idée des choses de la religion je l'espère du moins et tu te rappelleras, quand ils te questionneront sur ta religion, que tu es catholique. Mieux vaut encore dire catholique romain, quoique je n'aime pas beaucoup ce mot. » Kim alluma une acre cigarette il avait eu soin d'en acheter un stock au bazar et se coucha pour réfléchir. Ce trajet solitaire différait certes de l'autre voyage gai en troisième classe avec le lama. « Les sahibs n'ont guère de plaisir en route, réfléchit-il. Haï maï ! Je vais d'un lieu à l'autre comme une balle qu'on chasse du pied. C'est mon Kismet. Nul homme ne peut échapper à son Kismet. Mais je dois prier Bibi Miriam, et je suis un sahib. (Il regarda ses souliers avec tristesse.) Non ; je suis Kim. Ceci est le vaste monde, et je suis Kim, voilà tout. Qui est Kim4 ? » Il examina sa propre identité, chose qu'il n'avait jamais faite auparavant, jusqu'à ce que la tête lui tournât. Qu'était-il ? Rien qu'un insignifiant individu dans ce tourbillon de l'Inde, s'en allant vers le Sud, qui sait vers quelles destinées ? Bientôt le colonel l'envoya chercher, pour une longue causerie. Autant que l'enfant put y glaner, il lui fallait se montrer appliqué, et il entrerait dans le service topographique de l'Inde comme géomètre. S'il se conduisait bien, et passait les examens voulus il gagnerait à dix-sept ans trente roupies par mois, et le colonel Creighton verrait à ce qu'il trouvât un emploi convenable. Kim feignit tout d'abord de comprendre à peine un mot sur trois de la conversation. Alors, le colonel, découvrant son erreur, passa à l'ourdou. Il le parlait de façon courante et imagée, propre à satisfaire Kim. Non, ce ne pouvait être un fou, l'homme qui connaissait la langue à tel point, dont les gestes si doux faisaient si peu de bruit, et dont les yeux ressemblaient si peu aux gros yeux ternes des autres sahibs. « Oui, et il faut que tu apprennes à faire des images de routes, de montagnes et de rivières, à emporter ces images gravées dans ton œil jusqu'au moment propice de les fixer sur le papier. Peut-être un jour, quand tu seras arpenteur, te dirai-je quand nous serons en train de travailler ensemble : traverse ces montagnes et vois ce qu'il y a au-delà. Alors quelqu'un dira : Il y a de mauvaises gens vivant dans ces montagnes qui tueront l'arpenteur s'ils voient que c'est un sahib. Et alors ? » Kim réfléchit. Serait-il prudent de répondre du tac au tac ? « Je raconterais ce que l'autre homme a dit. Mais si je répondais : Je te donnerai cent roupies pour savoir ce qu'il y a derrière ces montagnes, pour une carte d'une rivière et quelques renseignements sur ce que les gens disent dans les villages ? Comment puis-je répondre ? Je ne suis qu'un enfant. Attendez que je sois un homme. » Puis, voyant le front du colonel se rembrunir, il poursuivit : « Mais je pense qu'en quelques jours je gagnerais les cent roupies. Par quel moyen ?... » Kim secoua la tête avec résolution. « Si je disais comment je les gagnerais, un autre pourrait m'entendre et me devancer. Ce n'est pas bon de vendre ce que l'on sait pour rien. Dis-le maintenant. » Le colonel brandit une roupie. Kim tendit à demi la main pour la prendre et la laissa retomber. « Non, sahib, non. Je sais le prix qui sera payé pour la réponse, mais je ne sais pas pourquoi la question m'est posée. Prends-la, comme cadeau, alors, dit Creighton, en la lui lançant. Tu as bon esprit... Ne laisse pas cela s'émousser à Saint-Xavier. Il y a des garçons qui méprisent les gens de couleur. Leurs mères étaient au bazar », dit Kim. Il savait qu'il n'y avait pas de haine pire que celle de l'homme de demi-caste à l'égard de son beau-frère. « C'est vrai ; mais tu es un sahib et le fils d'un sahib. Ainsi, ne te laisse jamais aller, en aucun temps, à mépriser les Noirs. J'ai connu des jeunes gens qui, nouvellement entrés au service du Gouvernement, feignaient de ne pas comprendre le langage ni les coutumes des Noirs. Ils furent cassés aux gages pour leur ignorance. Il n'y a pas de plus grand péché que l'ignorance. Souviens-t'en. » Plusieurs fois, au cours de cette descente de vingt-quatre heures vers le Sud, le colonel envoya chercher Kim, chaque fois développant ce même thème. « Nous sommes donc tous attelés à la même corde, se dit Kim à la fin le colonel, Mahbub Ali et moi du moins, quand je deviendrai arpenteur. Il se servira de moi, je pense, comme m'employait Mahbub Ali. Bonne affaire, si cela me permet de reprendre la route. Ces habits ne gênent pas moins à l'usage. » Quand ils arrivèrent à la gare encombrée de Lucknow, il n'y avait pas ombre de lama. Il étouffa sa déception, tandis que le colonel l'embarquait dans un ticca-garri avec son paquetage soigneusement ficelé, et le dépêchait tout seul à Saint-Xavier. « Je ne te dis pas adieu, parce que nous nous reverrons, cria-t-il. Plus d'une fois si tu gardes le même bon esprit. Mais tu n'as pas encore subi l'épreuve ! Pas même le soir que tu sais, où je t'ai apporté (Kim osa effectivement employer le tum5 usité d'égal à égal) le pedigree d'un étalon blanc ? Cela profite de savoir oublier, petit frère », dit le colonel avec un regard qui transperça les omoplates de Kim, comme il se hissait dans la voiture. Il lui fallut presque cinq minutes pour se reprendre. Alors il respira cette atmosphère nouvelle en connaisseur. « La ville est riche, dit-il, plus riche que Lahore. Les bazars doivent être fameux ! Cocher, mène-moi un peu à travers les bazars. J'ai ordre de te conduire à l'école. » Le cocher employait le « tu » qui est une impolitesse quand on l'applique à un Blanc. Dans l'idiome du pays, avec abondance et clarté, Kim lui fit voir son erreur ; puis il grimpa sur le siège, et, une fois établie une parfaite entente, se fit promener deux heures durant, estimant, comparant, et se réjouissant. Il n'y a pas de cité sauf Bombay, la reine de toutes plus belle, dans son genre extravagant, que Lucknow, qu'on la contemple du pont qui franchit la rivière, ou bien du sommet de l'Imambara6, d'où la vue plonge sur les parasols dorés du Chutter Munzil7 et les arbres parmi lesquels se niche la cité. Des rois l'ont ornée de constructions fantastiques, dotée de fondations charitables, encombrée de pensionnés et trempée de sang. Elle est le centre de toute paresse, de toute intrigue, et de tout luxe, et partage avec Delhi la prétention de parler le seul ourdou pur8. « La belle la superbe ville ! » Le cocher, en citoyen de Lucknow, fut charmé du compliment, et raconta à Kim maintes choses surprenantes, là où un guide anglais n'eût parlé que de l'Insurrection. « Maintenant, nous allons à l'école », dit Kim enfin. La vénérable école de Saint-Xavier in Partibus élève en terrasses, à quelque distance de la ville, ses constructions blanches sans étage au milieu de vastes terrains qui longent et dominent la rivière Gumti. « Quelle espèce de gens est-ce là-dedans ? demanda Kim. Des jeunes sahibs tous des diables ; mais à dire vrai, et j'en mène beaucoup entre la gare et l'école, je n'en ai jamais vu un qui ait plus l'étoffe d'un diable fini que toi je veux dire, ce jeune sahib, que je conduis à présent. » Naturellement, car on ne lui avait jamais appris à les considérer avec réprobation, Kim avait échangé quelques banalités avec une ou deux femmes frivoles postées aux fenêtres hautes de certaines rues, et naturellement aussi, dans l'échange des compliments, s'était fort bien acquitté de sa partie. Il se préparait à relever cette dernière insolence du cocher, quand son œil, dans le jour déclinant, tomba sur une silhouette assise contre l'un des piliers de plâtre blanc d'une porte qui rompait la perspective des murs. « Arrête ! cria-t-il. Attends ici. Je ne vais pas tout de suite à l'école. Mais qui va me payer toutes ces allées et venues ? s'exclama le cocher avec vivacité. Le gamin est-il fou ? La dernière fois, c'était une danseuse. Cette fois-ci, c'est un prêtre. » Kim s'était déjà précipité tête baissée sur la route, et caressait les pieds poudreux sous la robe jaune et souillée. « J'ai attendu ici un jour et demi, commença la voix égale du lama. J'avais même un disciple avec moi. Mon ami du temple des Tirthankaras m'a donné un guide pour ce voyage. Je suis venu de Bénarès par le train dès que ta lettre m'a été remise. Oui, je suis bien nourri. Je n'ai besoin de rien. Mais pourquoi n'es-tu pas resté avec la femme de Kulu, ô Saint Homme ? De quelle façon as-tu atteint Bénarès ? Mon cœur m'a paru lourd depuis que nous nous sommes quittés. La femme me lassait par son flot constant de paroles et de demandes de charmes pour ses enfants. Je me suis séparé de cette compagnie, en lui permettant de s'acquérir du mérite par des dons. C'est au moins une femme aux mains libérales, et je lui ai promis de revenir chez elle, si le besoin s'en fait sentir. Puis voyant ma solitude dans ce vaste et terrible monde, je pensai au te-rain pour Bénarès où je savais que demeurait dans le temple des Tirthankaras, un Chercheur comme moi. Ah ! ta Rivière, dit Kim. J'avais oublié ta Rivière. Si vite, mon chela ? Je ne l'ai jamais oubliée, moi ; mais, quand je te quittai, il me sembla préférable d'aller au temple prendre conseil ; car, vois-tu, l'Inde est très grande, et il se peut que des hommes sages avant nous, deux ou trois, peut-être, aient laissé quelque indication sur l'emplacement de notre Rivière. Il y a débat sur la matière au temple des Tirthankaras ; les uns prétendent une chose, les autres une autre. Ce sont gens courtois. En vérité ; mais que fais-tu maintenant ? Je m'acquiers des mérites en t'assistant, mon chela, sur la route de la sagesse. Le prêtre de cette troupe d'hommes qui servent le Taureau Rouge m'a écrit qu'il en serait pour toi selon mon désir. J'ai envoyé l'argent nécessaire à la dépense d'une année, et puis, je suis venu, comme tu vois, t'attendre aux Portes de la Science. Une journée et demie j'ai attendu non que la moindre affection pour toi m'influençât cela reste étranger à la Voie mais, comme ils disent au temple des Tirthankaras, parce que, l'argent ayant été payé pour tes leçons, il convenait que je m'assure de tout jusqu'au bout. Ils ont levé mes doutes de la façon la plus claire. J'avais peur de venir, peut-être, parce que je désirais te voir aveuglé par la brume rouge de la tendresse. Il n'en est pas ainsi... Puis, je suis troublé par un rêve. Mais sûrement. Saint Homme, tu n'as pas oublié la route et tout ce qui nous arriva. C'est sûrement un peu pour me voir que tu es venu ? Les chevaux se refroidissent, et l'heure est passée de leur donner à manger, geignit le cocher. Va en Enfer et restes-y avec ta tante sans réputation, jappa Kim par-dessus son épaule. Je suis seul dans ce pays ; je ne sais ni où je vais ni ce qu'il va m'advenir. Mon cœur était dans cette lettre que je t'ai envoyée. Sauf Mahbub Ali, et c'est un Pathan, tu es mon seul ami, Saint Homme. Ne t'en va pas tout à fait. J'ai considéré cela aussi, répliqua le lama, d'une voix tremblante. Il est manifeste que de temps en temps je m'acquerrai du mérite si d'ici là je n'ai trouvé ma Rivière en m'assurant par moi-même que tes pieds foulent les voies de sagesse. Ce qu'ils t'apprendront, je n'en sais rien, mais le prêtre m'a écrit que nul fils de sahib dans toute l'Inde ne recevra de meilleurs enseignements que toi. Ainsi, de temps en temps, je reviendrai donc. Il se peut que tu deviennes un sahib comme celui qui m'a donné ces lunettes (le lama les essuya minutieusement) dans la Maison des Merveilles à Lahore. C'est mon espoir, car ce sahib était une Fontaine de Sagesse plus sage que maints supérieurs de couvent... Et puis, il se peut que tu m'oublies, moi et nos rencontres... Si je mange ton pain, s'écria Kim avec passion, comment pourrais-je jamais t'oublier ? Non... non. (Il écarta l'enfant.) Il me faut retourner à Bénarès. De temps à autre, maintenant que je connais les coutumes des écrivains publics dans ce pays, je t'enverrai une lettre, et de temps en temps je viendrai te voir. Mais où t'enverrai-je mes lettres ? gémit Kim, en se cramponnant à sa robe et oubliant tout à fait sa qualité de sahib. Au temple des Tirthankaras, à Bénarès. C'est l'endroit que j'ai choisi jusqu'à ce que je trouve ma Rivière. Ne pleure pas ; car, écoute : tout désir est illusion et lie plus étroitement à la Roue. Monte aux Portes de la Science. Laisse-moi te voir entrer... M'aimes-tu ? Alors va, ou mon cœur se fend... Je reviendrai. Sûrement, je reviendrai. » Le lama regarda le ticca-garri pénétrer en cahotant dans l'enceinte, et s'éloigna à grands pas en aspirant une prise entre chaque enjambée. « Les Portes de la Science » se refermèrent avec fracas.
L'enfant de naissance et d'éducation indigènes a ses mœurs et ses coutumes, qui ne ressemblent à celles d'aucun autre pays ; et ses professeurs l'approchent par des voies qu'un maître anglais ne comprendrait pas. Aussi les débuts de Kim comme élève de Saint-Xavier, parmi deux ou trois cents gamins précoces dont la plupart n'avaient jamais vu la mer, n'offrent-ils guère d'intérêt. Il encourut les peines d'usage pour avoir sauté le mur en temps de choléra dans la cité. C'était avant qu'il eût appris à écrire passablement l'anglais, d'où l'obligation de chercher un écrivain public au bazar. Il se fit, comme il sied, punir pour usage de tabac et emploi de termes de goût plus relevé que Saint-Xavier en eût jamais entendus. Il apprit à se laver avec tout le scrupule lévitique de l'indigène qui, en son for intérieur, considère l'Anglais comme plutôt sale. Il joua les tours traditionnels aux coolies patients qui tirent les punkahs dans les dortoirs à l'heure où les élèves tuent les nuits brûlantes à raconter des histoires jusqu'au petit jour ; et tranquillement, il se mesura contre la suffisance de ses pairs.
Il y avait là des fils de petits fonctionnaires des services du chemin de fer, du télégraphe et des canaux ; de sous-officiers, les uns retraités, d'autres tenant rang de commandants en chef dans l'armée d'un rajah feudataire ; de capitaines mariniers, de pensionnés du gouvernement, de planteurs, de boutiquiers des présidences9, et de missionnaires. Quelques-uns étaient cadets de vieilles maisons eurasiennes solidement implantées dans Dhurrumtollah, Pereira, De Souza, et D'Silva10. Leurs parents auraient pu les élever en Angleterre, mais gardaient un penchant pour l'école qui avait abrité leur propre jeunesse, et des générations de figures pâles se succédaient à Saint-Xavier. Leurs foyers s'échelonnaient depuis Howrah, capitale des chemins de fer, jusqu'à des cantonnements délaissés, comme Monghyr et Chunar ; des jardins à thé perdus du côté de Shillong ; des villages de l'Oudh ou du Dekkan où leurs pères étaient grands propriétaires ; des missions éloignées d'une semaine de la plus proche voie ferrée ; des ports de mer à mille lieues au sud, face au ressac de cuivre de l'océan Indien ; des plantations de quinquina au sud de tout. Le simple récit de leurs aventures (pour eux cela ne comptait pas) à l'aller ou au retour de leurs voyages de vacances, eût fait dresser les cheveux sur la tête d'un collégien occidental. Habitués à s'en aller seuls cahin-caha pendant des centaines de milles à travers la jungle, avec toujours la chance délicieuse d'être arrêtés par un tigre, ils ne se seraient cependant pas plus baignés dans la Manche pendant un mois d'août anglais, que leurs frères de l'autre côté du monde ne fussent restés immobiles tandis qu'un léopard flairait leur palanquin. Il y avait là des garçons de quinze ans, qui avaient passé un jour et demi sur un îlot au milieu d'une rivière en crue, prenant la responsabilité, comme de droit, d'un camp de pèlerins affolés, au retour d'un temple ; des vétérans avaient réquisitionné un jour au nom de saint François Xavier l'éléphant d'un rajah, rencontré par hasard, alors que les pluies avaient effacé la route charretière qui desservait le domaine paternel, et presque perdu l'énorme bête dans les sables mouvants. Il y avait là un gamin qui, disait-il, et personne n'en doutait, avait aidé son père à repousser à coups de fusil du seuil de leur véranda un assaut d'Akas, au temps où ces chasseurs de têtes osaient attaquer les plantations isolées. Et chaque histoire, racontée sur ce ton égal, indifférent, de l'autochtone, s'entremêlait de réflexions curieuses, emprunts inconscients à des nourrices indigènes, de tours de phrase qui sentaient la traduction, à mesure, de l'idiome du pays. Kim observait, écoutait, approuvait. Ce n'était plus là rabâchage insipide et creux de tambours. On y parlait d'une vie qu'il connaissait et qu'il comprenait à demi. L'atmosphère lui convenait ; il prospéra, prit du corps. On lui donna, la saison chaude venue, un costume de toile blanche, et il prit plaisir à la nouveauté de ce bien-être matériel, autant qu'à exercer dans ses devoirs le jeu de son esprit aiguisé. Son intelligence eût ravi un professeur anglais ; mais on connaît, à Saint-Xavier, ce premier élan de cerveaux développés par le soleil et le milieu, de même que l'espèce d'affaiblissement qui s'ensuit vers la vingt-deuxième année. Il se souvint néanmoins de demeurer discret. Quand on racontait des histoires de nuits chaudes, Kim ne submergeait pas l'entretien de ses souvenirs, car on se fait mal voir, à Saint-Xavier, quand on montre des velléités de « tourner tout à fait à l'indigène ». Il faut se rappeler qu'on est un sahib, et qu'un jour, une fois des examens passés, on commandera à des indigènes. Kim prit note de cela, car il commençait à entrevoir où mènent les examens. Puis vinrent les vacances d'août à octobre et les longues vacances qu'imposent la chaleur et les pluies. Kim reçut l'avis qu'il irait dans quelque station de montagne du Nord, derrière Umballa, où le père Victor pourvoirait à son séjour. « Une école régimentaire ? dit Kim, qui avait posé nombre de questions et pensé davantage encore, Oui, je suppose, dit le professeur. Cela ne vous fera pas de mal de vous tenir en bride. Vous pouvez remonter avec le jeune De Castro jusqu'à Delhi. » Kim considéra l'affaire sous toutes ses faces. Il avait été appliqué, comme le colonel le lui avait enjoint. Les vacances d'un collégien, c'est son bien propre autant que le lui avaient appris les conversations de ses camarades et une école régimentaire, ce serait le martyre, après Saint-Xavier. En outre et cette magie-là valait toutes les autres il savait écrire. En trois mois, il avait découvert comment les hommes peuvent se parler l'un à l'autre sans le secours d'un tiers, au prix d'un demi-anna et d'un peu de savoir. Pas un mot du lama, mais il restait la Route. Kim soupirait après la caresse de la boue molle quand elle gicle entre les orteils, cependant que l'eau lui venait à la bouche à l'idée de mouton mijoté au beurre et aux choux, de riz blanc semé de cardamomes parfumées, de riz jaune au safran, à l'ail et aux oignons, et de friandises huileuses, délices interdits des bazars. À l'école régimentaire, on le nourrirait de bœuf cru dans une gamelle de fer-blanc, et il lui faudrait fumer en cachette. Mais tout de même il était un sahib, un élève de Saint-Xavier, et ce pourceau de Mahbub Ali... Non, il ne tenterait pas l'hospitalité de Mahbub et pourtant... Il y pensa tout seul au dortoir, et en vint à la conclusion qu'il avait été injuste envers Mahbub. L'école était déserte ; la plupart des professeurs étaient partis. Kim tenait le permis de circuler de chemin de fer du colonel Creighton dans sa main, et se félicita de n'avoir pas gaspillé dans une vie dissipée l'argent du colonel Creighton et de Mahbub. Il demeurait seigneur et maître de deux roupies sept annas. Sa malle neuve marquée K.O.H. et son rouleau de literie gisaient dans le dortoir vide. « Les sahibs restent toujours esclaves de leurs bagages, dit Kim en hochant la tête dans leur direction. Vous resterez ici. » Il sortit sous la pluie chaude, un sourire perfide à la bouche, et se mit en quête de certaine maison dont il avait remarqué l'extérieur quelque temps auparavant... « Arré ! Sais-tu quelle espèce de femmes nous sommes dans ce quartier ? Tu n'as pas honte ! Suis-je né d'hier ? (Kim s'accroupit à la mode indigène sur les coussins de la chambre où il venait d'entrer.) Un peu de teinture et trois mètres d'étoffe, pour faire une farce. Est-ce trop demander ? Le nom de la femme ? Tu es bien jeune, en tant que sahib, pour ce genre de diablerie. Oh ! la femme ? C'est la fille d'un certain maître d'école de régiment dans la ville blanche. Il m'a battu deux fois pour avoir sauté leur mur avec ces habits. Maintenant je voudrais y aller déguisé en garçon jardinier. Les vieux sont jaloux. C'est vrai. Tiens-toi la figure tranquille pendant que je passe le tampon. Pas trop noir, Naikan. Je ne voudrais pas qu'elle me prenne pour un hubshi (moricaud). Oh ! l'amour se moque de ces choses. Et quel âge a-t-elle ? Douze ans, je crois, dit Kim impudemment. Barbouille aussi la poitrine. Son père pourrait bien déchirer mes habits, et si je suis pie... » Il se mit à rire. La fille s'affairait, trempant un tampon d'étoffe dans une petite soucoupe emplie d'une teinture brune qui tient plus longtemps que le meilleur brou de noix. « Maintenant, envoie-moi chercher de l'étoffe pour le turban. Malheur ! ma tête n'est pas rasée, et il va sûrement jeter bas mon turban. Je ne suis pas barbier, mais je vais m'arranger. Tu es né pour faire un briseur de cœurs ! Tout ce déguisement pour un soir ? Rappelle-toi, la couleur ne s'en va pas au lavage. (Elle riait, secouée d'une gaieté qui faisait tinter les bracelets de ses poignets et de ses chevilles.) Mais qui va me payer cela ? Huneefa elle-même n'aurait pu te fournir de meilleure marchandise. Aie confiance en les dieux, ma sœur, dit Kim gravement, en grimaçant à mesure que la teinture séchait. Et puis, avais-tu jamais aidé à peindre un : sahib de cette sorte ? Non, jamais, bien sûr. Mais une plaisanterie, ce n'est pas de l'argent. Cela vaut beaucoup plus. Petit, tu es sans contredit le fils de Shaitan le plus éhonté que j'aie jamais vu prendre le temps d'une pauvre fille avec ce genre de jeu, et puis oser ajouter : Est-ce que la farce ne suffit pas ? Tu iras très loin en ce monde. » Elle lui fit par moquerie le salut des danseuses. « Je m'en fiche. Dépêche-toi et rase-moi la tête n'importe comment. » Kim sautait d'un pied sur l'autre, les yeux brillant de plaisir à la pensée des jours de liesse qu'il avait devant lui. Il donna à la fille quatre annas, et descendit l'escalier en courant, méconnaissable sous les traits d'un gamin hindou de basse caste reproduits avec une minutieuse perfection. Sa première visite fut pour une cuisine en plein vent, où il se livra à une orgie de victuailles et de beurre fondu. Sur le quai de la gare de Lucknow, il vit le jeune De Castro, tout couvert de boutons de chaleur, monter dans un compartiment de seconde classe. Kim préféra une troisième dont il devint sur-le-champ la vie et la gaieté. Il se donna à l'assistance comme l'aide d'un jongleur qui l'avait laissé en route, malade de fièvre ; il devait rallier son maître à Umballa. À mesure que changèrent les voyageurs de la voiture, il ajoutait des variantes ou brodait son récit de toutes les fleurs d'une fantaisie toujours épanouie, d'autant plus débridée que le parler indigène lui était resté plus longtemps interdit. Dans toute l'Inde, cette nuit-là, on n'eût pas trouvé de mortel plus joyeux que Kim. À Umballa, il descendit et mit le cap sur l'est, pataugeant à travers la fange des cultures dans la direction du village où vivait le vieux soldat. Vers le même moment, à Simla, le colonel Creighton recevait avis par télégraphe, de Lucknow, de la disparition du jeune O'Hara. Mahbub Ali, à cette époque, vendait des chevaux dans la ville, et le colonel lui confia l'incident un matin qu'ils galopaient autour du champ de course d'Annandale. « Oh ! ce n'est rien, dit le maquignon. Les hommes c'est comme les chevaux. À certains moments, ils ont besoin de sel, et si le sel manque dans les mangeoires, ils le lécheront à même la terre. Il a repris la route pour un temps. La madrissah l'ennuyait. Je savais qu'il en serait ainsi. Une autre fois, nous reprendrons la route ensemble. Ne vous inquiétez pas, Creighton sahib. C'est comme un poney de polo qui s'échapperait, histoire d'apprendre le jeu tout seul. Alors, il n'est pas mort, selon vous ? La fièvre pourrait le tuer. Autrement, je ne crains pas pour le gamin. Un singe ne tombe pas des arbres. » Le matin suivant, sur la même piste, l'étalon de Mahbub vint se ranger près du colonel. « C'est bien ce que je pensais, dit le maquignon. Il a tout au moins passé par Umballa, et de là il m'a écrit une lettre, après avoir appris au bazar que j'étais ici. Lisez », dit le colonel, avec un soupir de soulagement. Qu'un homme de son rang prît intérêt à un petit vagabond quelconque du cru, c'était absurde ; mais le colonel se rappelait la conversation dans le train, et maintes fois, au cours des derniers mois, il s'était surpris à penser à ce gamin singulier, secret, et toujours maître de lui. Sa fuite représentait assurément un comble d'insolence, mais dénotait de la ressource et du nerf. L'œil de Mahbub lança un éclair de gaieté, tandis qu'il dirigeait sa monture vers le centre de la petite plaine étranglée où personne ne pouvait les approcher sans être vu. « L'Ami des Étoiles, qui est l'Ami de Tout au Monde... Qu'est ceci ? Un nom qu'on lui donne dans la ville de Lahore. « L'Ami de Tout au Monde prend la permission de suivre les routes de son choix. Il reviendra au jour fixé. Qu'on envoie chercher la malle et la literie, et s'il y a eu faute, que la main de l'Amitié détourne le Fouet de la Calamité. » Il y a encore un peu mais... N'importe, lisez. « Certaines choses restent cachées à ceux qui mangent avec des fourchettes. Il vaut mieux manger avec les deux mains pour quelque temps. Parle en paroles persuasives à qui ne comprendrait pas ceci, afin que le retour me soit propice. » Voyez, on reconnaît sans doute l'écrivain public à la disposition générale, mais notez avec quelle sagesse l'enfant a combiné ses mots afin que les initiés seuls y puissent trouver un sens ! La voilà donc, la Main de l'Amitié qui détourne le Fouet de la Calamité ? dit en riant le colonel. Voyez la sagesse de l'enfant. Il voulait reprendre la route, comme j'ai dit. Sans connaître encore votre métier... Cela, je n'en répondrais pas, murmura le colonel. Il se tourne vers moi pour rétablir la paix entre vous. N'est-ce point avisé ? Il dit qu'il reviendra. Il ne veut que parfaire son savoir. Réfléchissez sahib, il n'a été que trois mois à l'école. Sa bouche n'est pas faite à ce mors. Pour ma part, je m'en réjouis : le poney apprend le jeu. Oui, mais une autre fois, il ne faut pas qu'il aille seul. Pourquoi ? Il allait seul avant de devenir le protégé du colonel sahib. Quand il jouera le Grand Jeu11, il faudra qu'il aille seul seul, et au péril de sa tête. Alors, s'il crache, éternue ou s'assied autrement que ne font les gens qu'il observe, il pourra se faire égorger. Pourquoi l'entraver maintenant ? Souvenez-vous de ce que disent les Persans : le chacal qui habite les plaines de Mazanderan ne peut être forcé que par les chiens de Mazanderan. C'est vrai. Oui, c'est vrai, Mahbub Ali. Et s'il ne lui arrive pas de mal, je ne désire rien de mieux. Mais c'est de l'insolence de sa part. Il ne me dit pas, à moi-même, où il va, dit Mahbub. Ce n'est pas un sot. Quand ce sera le moment, il viendra à moi. Il est temps que le médecin des perles se charge de lui. Il mûrit trop vite, du moins au goût des sahibs. » Cette prophétie s'accomplit à la lettre un mois plus tard. Mahbub était descendu à Umballa pour y chercher un nouveau stock de chevaux, lorsque, à la nuit tombante, chevauchant seul sur la route de Kalka, il rencontra Kim qui lui demanda l'aumône, obtint un juron, et répliqua en anglais. Il n'y eut personne à portée d'oreille pour entendre le ah ! de saisissement que poussa Mahbub. « Oh, oh ! Et où as-tu été ? Au Nord, au Sud au Sud, au Nord. Viens sous un arbre, à l'abri de la pluie, et raconte. Je suis resté quelque temps avec un vieux près d'Umballa ; ensuite avec une famille de ma connaissance à Umballa même. Je suis allé jusqu'à Delhi dans le Sud avec quelqu'un de cette famille. Voilà une ville merveilleuse. Puis j'ai conduit le bœuf d'un têli (marchand d'huile) qui remontait au Nord ; mais j'entendis parler d'une grande fête annoncée à Putiala, et je me suis dirigé par là en compagnie d'un marchand de pièces d'artifice. C'était une grande fête (Kim se frotta le ventre). J'ai vu des rajahs et des éléphants harnachés d'or et d'argent ; et on alluma toutes les pièces d'artifice d'un coup, ce qui provoqua la mort de onze hommes parmi lesquels mon artificier, et m'envoya pour ma part à travers une tente, comme un boulet, mais sans me faire de mal. Puis je suis revenu au rêl12 avec un cavalier sikh, à qui j'ai servi de groom pour le prix de mon pain ; et de là ici. Shabash ! dit Mahbub Ali. Mais que dit le colonel sahib ? Je n'ai pas envie d'être battu. La Main de l'Amitié a détourné le Fouet de la Calamité ; mais une autre fois, quand tu prendras la Route, ce sera avec moi. Il est trop tôt. Assez tard pour moi. J'ai appris à lire et à écrire un peu à la madrissah. Je serai bientôt tout à fait un sahib. Écoutez-le ! » dit en riant Mahbub, toisant la petite apparition aux vêtements trempés, qui dansait devant lui sous la pluie. « Salaam sahib (il fit un salut ironique). Eh bien, es-tu fatigué de la route, ou veux-tu rentrer à Umballa avec moi et m'aider à ramener les chevaux ? Je viens avec toi, Mahbub Ali. » |
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