KIM
Chapitre I

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Oh vous qui suivez l'Étroit Sentier1
Du brasier de Tophet2 au Jugement Dernier
Soyez bons pour les païens agenouillés

Bouddha à Kamakura.4
Il se tenait, au mépris des ordres municipaux, à califourchon sur le canon Zam-Zammah5, braqué au centre de sa plate-forme de brique, en face de la vieille Ajaib-Gher — la Maison des Merveilles, comme les indigènes appellent le musée de Lahore6. Qui tient Zam-Zammah, ce « dragon au souffle de feu », tient le Pendjab ; la grosse caronade de bronze vert, à chaque conquête, tombe toujours la première dans le butin du vainqueur.

Kim avait quelque droit à sa place — son pied venait de déloger d'un tourillon le garçon de Lala Dinanath — puisque les Anglais tenaient le Pendjab et que Kim était anglais. Quoique le teint brûlé comme celui de n'importe quel indigène, quoiqu'il employât de préférence l'idiome du pays et parlât sa langue natale avec une sorte de chantonnement hésitant et cassé, quoiqu'il fréquentât sur le pied d'une égalité parfaite les petits garçons du bazar, Kim était un Blanc, un Blanc pauvre parmi les plus pauvres. La femme de demi-caste qui prenait soin de lui (elle fumait l'opium et faisait semblant de tenir une boutique de meubles d'occasion près du square où stationnent les fiacres pas chers) disait aux missionnaires qu'elle était la sœur de la mère de Kim ; mais sa mère, d'abord bonne d'enfants dans la famille d'un colonel, avait épousé plus tard Kimball O'Hara, jeune sergent porte-drapeau des Mavericks7, régiment irlandais. Il occupa ensuite un poste sur la ligne de chemin de fer Sind-Pendjab-Delhi, et son régiment retourna en Angleterre sans lui. La femme mourut du choléra à Ferozepore, et O'Hara se mit à boire et à vagabonder le long de la ligne avec le bébé de trois ans qui ouvrait ses yeux vifs. Des œuvres, des chapelains, inquiets de l'enfant, tentèrent de s'en emparer ; mais O'Hara disparut, toujours errant, jusqu'au jour où il rencontra la femme qui fumait l'opium, en prit le goût avec elle, et mourut comme meurent dans l'Inde les Blancs qui n'ont point d'argent. Ses biens, à sa mort, consistaient en trois documents ; il appelait l'un son ne varietur8, parce que le papier portait ces mots au-dessous de sa signature, et le deuxième son « certificat de libération9 ». Le troisième était l'extrait de naissance de Kim. Ces choses, avait-il coutume de dire dans ses belles heures d'opium, feraient malgré tout du petit Kimball un homme. Sous aucun prétexte Kim ne devait s'en séparer ; elles faisaient partie d'une grande opération de magie, magie que l'on pratique là-bas derrière le musée, dans le grand Jadoo-Gher bleu et blanc, la Maison des Sortilèges, comme nous appelons la Loge maçonnique10. Tout, disait-il, s'arrangerait un jour, et la corne de Kim serait exaltée11 parmi des colonnes12 — des colonnes géantes — de force et de beauté. Le colonel lui-même viendrait à cheval, en tête du plus beau régiment du monde, servir Kim, le petit Kim qui aurait dû être plus riche que son père. Neuf cents diables de premier ordre dont le dieu était un Taureau Rouge sur champ vert, seraient au service de Kim, s'ils n'avaient pas oublié O'Hara — le pauvre O'Hara qui avait été contremaître sur la ligne de Ferozepore. Puis, il se mettait à pleurer amèrement, écroulé sur sa chaise de rotin démolie, sous la véranda. Aussi arriva-t-il qu'après sa mort la femme cousit parchemin, papier et extrait de naissance dans une gaine de cuir contenant une amulette qu'elle attacha au cou de Kim.

« Et un jour, dit-elle, se rappelant confusément les prophéties d'O'Hara, un grand Taureau Rouge sur un champ vert viendra te chercher, et le colonel sur son grand cheval, oui, et — la phrase finissait en anglais — neuf cents diables.

— Ah ! dit Kim, je me rappellerai. Un Taureau Rouge et un colonel sur un cheval viendront, mais d'abord, disait mon père, arrivent les deux hommes qui préparent le terrain pour ces choses. C'est ainsi, disait mon père, qu'ils faisaient toujours, et c'est toujours ainsi quand les hommes font des opérations magiques. »

Si la femme avait envoyé Kim au Jadoo-Gher local avec ces papiers, la Loge de la province se fut naturellement chargée de lui, et l'aurait envoyé à l'Orphelinat maçonnique dans la montagne, mais elle se méfiait de ce qu'elle avait entendu raconter en fait de magie. Kim, en outre, avait son opinion personnelle. En atteignant l'âge de déraison, il apprit à éviter les missionnaires et les hommes blancs de mine sérieuse qui lui demandaient qui il était et son métier. Car Kim ne faisait rien, ce dont il s'acquittait avec un succès immense. Il connaissait, à vrai dire, l'étonnante ville de Lahore, dans sa ceinture de remparts, depuis la porte de Delhi jusqu'au fossé du Fort13 ; il était à tu et à toi avec des hommes qui menaient des existences plus étranges que Haroun-al-Rachid14 n'en rêva jamais, et vivait une vie aussi folle que celle des Mille et Une Nuits, mais dont ni missionnaires ni secrétaires des sociétés de bienfaisance n'eussent pu comprendre la beauté. Son surnom dans les faubourgs était « Petit Ami de Tout au Monde » ; et souvent, à cause de sa souplesse et de sa facilité à passer inaperçu, il portait des commissions la nuit sur les toits encombrés de la ville pour le compte de jeunes élégants à peau luisante et poil lustré. Il s'agissait d'intrigues, naturellement — il savait cela du moins —, de même qu'il connaissait tout du mal depuis qu'il savait parler —, mais ce qu'il aimait, c'était le jeu pour son propre attrait — les courses furtives dans l'obscurité des passages et des ruelles, l'escalade par quelque gouttière, les visions et les rumeurs du monde des femmes sur les toits plats, et la fuite, tête baissée, de terrasse en terrasse, sous le couvert de l'ombre chaude. Puis, il y avait de saints hommes, des fakirs barbouillés de cendre auprès de leurs sanctuaires de brique sous les arbres de la rivière, qu'il connaissait familièrement. Il les accueillait d'un salut, au retour de leurs courses mendiantes, et mangeait à leur plat quand ne passait personne. La femme qui s'occupait de lui insistait jusqu'aux larmes pour lui faire porter des vêtements européens, culotte, chemise et chapeau bossue. Kim trouvait plus commode d'enfiler le costume hindou ou mahométan, les jours où il négociait certaines affaires. Un des jeunes élégants — celui qu'on trouva mort au fond d'une citerne, la nuit du tremblement de terre — lui avait donné une fois un accoutrement complet d'Hindou, un costume de gamin des rues, de basse caste, et Kim le gardait en un lieu secret, sous des poutres, dans le chantier de Nila Ram, derrière la Haute Cour du Pendjab, parmi les troncs de cèdres odorants qui viennent là mûrir après avoir descendu le cours de la Ravi. En cas de mission ou de fredaine, Kim se servait de son bien et regagnait à l'aube la véranda, tombant de fatigue à force d'avoir crié aux talons d'une procession nuptiale ou braillé tout le long d'une cérémonie hindoue. Parfois, il y avait à manger à la maison ; plus souvent, il n'y avait rien, et Kim repartait manger avec ses amis indigènes.

Sans cesser de tambouriner des talons sur le flanc de Zam-Zammah, il oubliait, de temps à autre, la partie de « roi du château » qu'il jouait avec Chota Lal et Abdullah, le fils du marchand de sucreries, pour adresser quelque insolence au policeman indigène en sentinelle devant les rangées de chaussures à la porte du musée. Le grand Pendjabi grimaçait un sourire d'indulgence ; il connaissait Kim de longue date. Il en était de même du porteur d'eau qui dégonflait en cascade son outre de peau de bouc sur la route poudreuse. De même de Jawahir Singh, le menuisier du musée, penché sur ses caisses neuves. De même de tous les citadins à portée de vue, sauf les paysans des environs, qui se hâtaient vers la Maison des Merveilles afin de contempler les œuvres de leur province et d'ailleurs. Le musée était consacré aux arts et manufactures de l'Inde, et quiconque voulait s'instruire pouvait demander des explications au conservateur.

« À bas ! À bas ! Laisse-moi monter ! criait Abdullah, en grimpant à la roue de Zam-Zammah.

— Ton père était pâtissier, ta mère volait le beurre, chanta Kim. Tous les musulmans sont tombés de Zam-Zammah il y a beau temps !

— Et moi, laisse-moi monter », piaulait le petit Chota Lal avec son bonnet brodé d'or.

La fortune de son père atteignait peut-être un demi-million de livres sterling, mais l'Inde est le seul pays démocratique du monde.

« Les Hindous sont tombés de Zam-Zammah, eux aussi. Ce sont les musulmans qui les ont poussés. Ton père était pâtissier... »

Il s'interrompit, car voici qu'au tournant de la rue, clopin-clopant, sortait du tumulte du Moti Bazar15, un homme tel que Kim qui croyait connaître toutes les castes n'en avait jamais vu. Il avait presque six pieds de haut, était vêtu des plis superposés d'une étoffe déteinte, pareille à la laine des couvertures de cheval ; et pas un de ces plis que Kim pût rattacher à quelque métier ou profession connus. À sa ceinture pendaient une longue écritoire en fer à jour et un rosaire de bois comme en portaient les saints hommes. Une sorte de béret gigantesque couvrait sa tête. Il avait le visage jaune et ridé, comme celui de Fook Shing, le cordonnier chinois du bazar. Ses yeux se retroussaient aux coins et semblaient de petites fentes d'onyx.

« Qui c'est ? dit Kim à son camarade.

— Peut-être que c'est un homme, dit Abdullah, un doigt dans la bouche, en écarquillant les yeux.

— Sans doute, répondit Kim, mais ce n'est pas une espèce d'homme de l'Inde que moi j'aie jamais vue.

— Un prêtre, peut-être, dit Chota Lal, en apercevant le rosaire. Regarde ! Il entre dans la Maison des Merveilles.

— Non, non, disait le policeman, en secouant la tête. Je ne comprends pas votre parler. (L'agent de police parlait pendjabi16.) Oh ! Ami de Tout au Monde, que dit-il donc ?

— Envoie-le par ici, dit Kim, en se laissant tomber de Zam-Zammah, avec un entrechat de ses talons nus. C'est un étranger, et toi, tu es un buffle. »

L'homme, en désespoir de cause, fit demi-tour et se dirigea vers les enfants. Il était vieux, et son caban de laine puait encore l'armoise des cols de la montagne.

« Ô enfants, qu'est-ce que c'est que cette grande maison ? dit-il en assez bon ourdou.

— C'est l'Ajaib-Gher, la Maison des Merveilles. »

Kim ne le salua d'aucun titre — tel que Lala ou Mian. Il ne pouvait deviner la religion de cet homme.

« Ah ! la Maison des Merveilles ! Peut-on y entrer ?

— C'est écrit sur la porte. Tout le monde peut entrer.

— Sans payer ?

— J'y entre et j'en sors. Et je ne suis pas un banquier, dit Kim en riant.

— Hélas ! je suis un vieil homme. Je ne savais pas. »

Puis, promenant ses doigts sur son rosaire, il se tourna à demi vers le musée.

« De quelle caste êtes-vous ? Où est votre maison ? Venez-vous de loin ? demanda Kim.

— Je suis venu par Kulu — d'au-delà des Kailas — mais qu'en sauriez-vous ? Je viens des montagnes (il soupira), où l'air et l'eau sont frais et purs.

— Ah ! ah ! Khitai (un Chinois) », dit Abdullah fièrement.

Fook Shing l'avait une fois chassé de sa boutique pour avoir craché au nez du Dieu qui trônait au-dessus des bottes.

« Pahari (un homme de la montagne), dit le petit Chota Lal.

— Oui-da, enfant, un homme de la montagne, de montagnes que tu ne verras jamais. As-tu entendu parler du Bhotiyal (Tibet) ? Je ne suis pas Khitai, mais Bhotiyal (Tibétain), puisqu'il faut vous le dire — un lama — on dirait un guru dans votre langue.

— Un guru du Tibet, dit Kim. Je n'en ai jamais vu. Ce sont des Hindous dans le Tibet, alors ?

— Nous sommes de ceux qui suivent la Voie du Milieu17, vivant en paix dans nos lamaseries, et je m'en vais voir les Quatre Lieux saints18 avant de mourir. Mais comment, enfants, en connaîtriez-vous autant que moi qui suis vieux ? »

Il sourit aux gamins, débonnairement.

« As-tu mangé ? »

Il fouilla dans son sein et tira une sébile de bois usée.

Les gamins firent un signe d'assentiment. Tous les prêtres de leur connaissance mendiaient.

« Je ne désire pas encore manger. »

Il tournait la tête comme une vieille tortue au soleil.

« Est-il vrai qu'il existe un grand nombre d'images dans la Maison des Merveilles de Lahore ? »

Il répéta les derniers mots comme quelqu'un qui s'assure d'une adresse donnée.

« C'est vrai, dit Abdullah. Elle est pleine de bûts païens. Toi aussi, tu es un idolâtre.

— Ne fais pas attention à celui-là, dit Kim. C'est la maison du gouvernement, et il n'y a dedans aucune idolâtrie, mais seulement un sahib avec une barbe blanche. Viens avec moi et je te montrerai.

— Les prêtres étrangers mangent les enfants, lui dit Chota Lal à l'oreille.

— Et c'est un étranger, un bût-parast (idolâtre) », dit Abdullah, le mahométan.

Kim se mit à rire.

« C'est du nouveau. Courez vous cacher dans les jupes de votre mère. Viens-t'en, vieux. »

Kim fit cliqueter en entrant le tourniquet enregistreur, le vieillard suivit et fit halte soudain, stupéfait. Dans le hall d'entrée se dressaient les statues les plus considérables parmi les sculptures gréco-bouddhistes19 exécutées, c'est affaire aux savants de dire il y a combien de temps, par des artisans oubliés, dont le génie grec, à la suite de transmissions mystérieuses, était venu si loin de sa patrie, et non sans bonheur, guider la main. Il y avait là des centaines de fragments, frises en bas relief, statues mutilées, dalles encombrées de figures, débris naguère incrustés aux murs de brique des stupas ou des viharas bouddhiques du Nord, et qui, maintenant exhumés et numérotés, faisaient l'orgueil du musée. Bouche bée de surprise, le lama allait de l'une à l'autre ; il finit par s'absorber, attentif et ravi, devant un grand haut-relief représentant le couronnement ou l'apothéose du seigneur Bouddha. Le maître apparaissait assis sur un lotus dont les pétales étaient si profondément fouillés qu'ils semblaient détachés du marbre. Alentour, en adoration, se pressait toute une hiérarchie de rois, d'ancêtres et de bouddhas de l'ancien temps20. Plus bas, il y avait des eaux couvertes de lotus, peuplées de poissons et d'oiseaux aquatiques. Deux dewas aux ailes de papillon tenaient une couronne au-dessus de la tête du sage ; et, plus haut encore, deux autres maintenaient un parasol que surmontait la couronne emperlée du Bodhisat.

« Le Maître ! Le Maître ! c'est Sakyamuni21 lui-même », s'écria le lama en contenant un sanglot, et, à voix basse, il commença l'admirable invocation bouddhique :

A Lui la Voie — La Loi — L'Ailleurs — Que Maya22 tenait sous son cœur. Le Maître d'Ananda23 — Le Bodhisat24 »

« Il est donc ici ! La loi par excellence est donc ici de même. Mon pèlerinage a bien commencé. Et quel travail ! quel art !

— Voici le sahib, là-bas », dit Kim.

Il obliqua vivement du côté des vitrines de l'aile des arts et métiers. Un Anglais à barbe blanche regardait le lama, qui se tourna gravement afin de le saluer, et, non sans peine, après s'être fouillé, exhiba un carnet et un chiffon de papier.

« Oui, c'est bien là mon nom, dit l'Anglais, en souriant devant la gaucherie des caractères enfantins.

— L'un de nous, qui avait fait un pèlerinage aux Lieux saints — et il est maintenant supérieur du monastère de Lung-Cho — me l'a donné, balbutia le lama. Il parlait de ceci. »

Sa main maigre tremblait en esquissant un geste circulaire.

« Sois donc le bienvenu, ô lama du Tibet. Voici les images, et moi, je suis ici (son œil s'arrêta un instant sur le visage du lama) pour acquérir du savoir. Viens, un instant dans mon bureau. »

Le vieillard suivit, tremblant d'émotion.

Le bureau ne consistait qu'en un petit espace cloisonné de bois, pris sur la galerie bordée de sculptures. Kim s'agenouilla, l'oreille collée à une fissure de la porte de cèdre aux planches gondolées de chaleur, et, fidèle à son instinct, resta là pour entendre et guetter.

La plus grande partie de la conversation dépassait tout à fait son entendement. Le lama, d'une voix mal assurée d'abord, parla au conservateur de sa propre lamaserie, le monastère de Such-zen, en face des Roches Peintes, à quatre mois de marche de là. Le conservateur produisit un énorme album de photographies, et lui montra le monastère même perché sur un roc, dominant la vallée gigantesque aux strates polychromes.

« Oui, oui ! » Le lama mit une paire de lunettes de corne, de fabrication chinoise. « Voici la porte même par laquelle nous montons la provision de bois avant l'hiver. Et tu... les Anglais, dis-je, ont connaissance de ces choses ? Celui qui est maintenant supérieur de Lung-Cho me l'avait dit, mais je ne le croyais pas. Le Seigneur... l'Excellent... On l'honore également ici ? Et sa vie est connue ?

— Elle est tout entière gravée sur les pierres. Viens voir, si tu es reposé. »

Le lama clopina dans la direction du hall principal et, accompagné du conservateur, parcourut la collection avec toute la vénération d'un fervent et l'instinct critique d'un connaisseur.

L'un après l'autre, sur la pierre meurtrie, revécurent à ses yeux les épisodes familiers de la noble légende. Il allait, parfois embarrassé de la convention insolite des influences grecques, mais charmé comme un enfant à chaque nouvelle découverte. Lorsqu'une lacune interrompait la suite, comme dans le cas de l'Annonciation25, le conservateur y suppléait en fouillant dans son amas de livres — français et allemands, avec photographies et reproductions à l'appui.

Ici le pieux Asita26, le pendant de Siméon27 dans l'histoire du christianisme, tenait le Saint Enfant sur son genou, tandis que l'écoutaient le père et la mère ; là se déroulaient les incidents de la légende du cousin Devadatta28. Ici apparaissait confondue la mauvaise femme qui accusa le Maître d'impureté29 ; plus loin, c'était l'enseignement dans le parc aux daims30 ; le miracle qui déconcerta les adorateurs du feu31 ; le Bodhisat en arroi tenant état de prince32 ; la naissance miraculeuse33 ; la mort à Kusinagara, où défaillit le disciple faible34 ; tandis que se reproduisaient à d'innombrables épreuves la méditation sous l'arbre Bodhi35 et l'Adoration de la Sébile36. Il suffit de quelques minutes au conservateur pour se rendre compte que son hôte n'était pas un vulgaire mendiant, égreneur de rosaire, mais un érudit accompli. Et ils recommencèrent toute la tournée, le lama prisant, essuyant ses lunettes, bavardant à une allure de locomotive en un étonnant mélange d'ourdou et de tibétain. Il avait entendu citer des voyages de pèlerins chinois, Fo-Hian et Hwen-Thiang37, et tenait à savoir s'il existait quelque traduction de leur récit. Il retenait son souffle en feuilletant avec désespoir Beal38 et Stanislas Julien39.

« Tout est ici. Un trésor sous clef. »

Puis il se composa un maintien de respect pour écouter des passages de ces auteurs traduits à la hâte en ourdou. Pour la première fois il entendit parler des savants européens, qui, à l'aide de ces documents et de cent autres, avaient identifié les Lieux saints du bouddhisme. Puis on lui montra une immense carte couverte de points et de traits jaunes. Le doigt brun suivit d'un point à l'autre le crayon du conservateur. Ici, c'était Kapilavastu ; là, le royaume du Milieu40 ; là encore, Mahabodi, La Mecque du Bouddhisme ; et plus loin, Kusinagara, triste lieu de la mort du Sage. Le vieillard inclina la tête en silence sur la toile, et le conservateur alluma une autre pipe. Kim s'était endormi. Quand il s'éveilla, la conversation, encore obscure, se rapprochait pourtant davantage de sa compréhension.

« Et c'est ainsi, ô Fontaine de Sagesse, que je résolus d'aller visiter les Lieux saints que son pied a foulés — au lieu de sa naissance, à Kapila même ; puis à Maha Bodhi, qui est Bodhgaya — au monastère — au parc aux daims — au lieu de sa mort. »

Le lama baissa la voix.

« Et je viens ici seul. Pendant cinq... sept... dix-huit... quarante années, j'ai songé dans mon cœur que l'antique loi n'était pas bien gardée ; obscurcie qu'elle est, tu le sais, par les diableries, les charmes et l'idolâtrie, comme l'enfant que j'ai trouvé à la porte le disait encore tout à l'heure. Oui, comme le disait l'enfant, obscurcie par le bûtparasti.

— Ainsi arrive-t-il de toute religion.

— Le crois-tu ? J'ai lu les livres de ma lamaserie, ils m'ont paru comme la sève desséchée ; et pour le rituel plus récent dont nous nous sommes encombrés, nous autres qui suivons la Loi réformée, ses observances de même ont paru sans vertu à cette vieille tête que voilà. Jusqu'aux disciples de l'Excellent qui se livrent l'un à l'autre une guerre acharnée. Illusion que tout cela ; oui, Maia, illusion ! Mais un autre désir me tourmente (la face jaune approcha son lacis de rides à moins de trois pouces du conservateur, tandis que l'index faisait claquer son ongle pointu sur le bois de la table). Vos savants, d'après ces livres, ont suivi les pieds bénis en chaque détour de leurs courses errantes, mais il reste des choses qu'ils n'ont point approfondies. Pour moi, je ne sais rien — pas davantage — mais je vais m'affranchir de la Roue des Choses41 par la voie large et la route ouverte. (Il eut un sourire de triomphe ingénu.) Comme pèlerin en route vers les Lieux saints, je m'acquiers des mérites. Mais il y a plus. Écoute une chose vraie. Quand notre gracieux Seigneur, encore dans l'adolescence, s'enquit d'une compagnie, on disait, à la cour de son père, qu'il était trop délicat pour le mariage. Tu sais cela ? »

Le conservateur fit un signe de tête, se demandant ce qui allait venir.

« Ils soumirent donc à la triple épreuve de force tous ceux qui se présentaient. Et à l'épreuve de l'arc, notre Seigneur, après avoir brisé l'arc qu'on lui tendait, en demanda un que nul ne pût bander. Tu sais cela ?

— C'est écrit. J'ai lu.

— Alors, dépassant tous les autres buts, la flèche s'envola loin42, très loin, à perte de vue. À la fin, elle tomba ; et là où elle toucha terre, jaillit un ruisseau, sur-le-champ devenu rivière, dont la nature, grâce à la bienfaisance de notre Seigneur et aux mérites qu'il s'acquit avant de s'affranchir, est telle que quiconque s'y baigne se lave de toute souillure et de toute parcelle de péché.

— Ainsi est-il écrit », dit le conservateur avec gravité.

Le lama respira profondément :

« Où est cette Rivière ? Fontaine de Sagesse, où la Flèche est-elle tombée ?

— Hélas ! mon frère, je ne sais pas, dit le conservateur.

— Non, sans doute, s'il te plaît d'oublier... la seule chose au monde que tu ne m'aies pas dite. Assurément, tu dois savoir ! Vois, je suis un vieillard. Je demande, le front dans la poussière, entre tes pieds, ô Fontaine de Sagesse. Nous savons que la Flèche tomba ! Nous savons que la source jaillit ! Où est, alors, la Rivière ? Mon rêve m'a dit de la trouver. C'est pourquoi je suis venu. Me voici. Mais où est la Rivière ?

— Si je le savais, penses-tu que je ne le crierais pas tout haut ?

— Grâce à elle, on s'affranchit de la Roue des Choses, poursuivit le lama sans prendre garde. La Rivière de la Flèche ! Réfléchis encore ! Quelque petit ruisseau, peut-être, que les chaleurs tarissent ? Mais le très saint tromperait-il jamais de la sorte un vieil homme ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas. »

Le lama, pour la seconde fois, rapprocha son visage aux mille rides à une largeur de main de celui de l'Anglais.

« Je vois que tu ne sais pas. N'étant pas de la Loi43, cette connaissance t'est cachée.

— Oui... cachée... cachée.

— Nous sommes tous les deux liés44, toi comme moi, mon frère ; mais moi (il se leva dans une ondulation des molles et lourdes draperies), je m'en vais m'affranchir de mes liens. Viens aussi !

— Je suis lié, dit le conservateur. Mais où vas-tu ?

— À Kashi (Bénarès) pour commencer ; où donc ailleurs ? Là, je rencontrerai un fervent de la foi pure dans un temple jaïn45 de cette ville. Lui aussi cherche, en secret, la Voie, et il se peut que j'en obtienne quelque chose. Peut-être viendra-t-il avec moi à Bodhgaya. Ensuite, par les chemins du nord et de l'ouest, je gagnerai Kapilavastu, et là, je me mettrai en quête de la Rivière. Non, plutôt, je serai en quête tout le long de ma route — car on ne sait pas le lieu où la Flèche tomba.

— Et comment iras-tu ? Il y a loin d'ici à Delhi, et plus loin encore à Bénarès.

— Par la route et les trains. De Pathânkot, au sortir des montagnes, je suis venu jusqu'ici dans un te-rain. Cela va promptement. D'abord, je fus étonné de voir ces grands poteaux au bord de la route ramasser et ramasser encore leurs fils (il imita d'un geste l'effet de feston et d'éclipsé d'un poteau télégraphique fulgurant au passage du train). Mais, plus tard, je fus pris de crampes et désirai marcher, comme j'en ai la coutume.

— Et tu es sûr de ta route ? lui demanda le conservateur.

— Oh ! quant à cela, il suffit de demander et de donner de l'argent, et les personnes interrogées vous adressent tout droit au lieu désigné. Cela, du moins, je le savais dans ma lamaserie, par des rapports fidèles, dit le lama avec orgueil.

— Et quand pars-tu ? »

Le conservateur sourit devant ce mélange de piété caduque et de progrès moderne, qui donne la note de l'Inde aujourd'hui.

« Aussitôt que possible. Je suivrai les étapes de sa vie jusqu'à ce que j'atteigne la Rivière de la Flèche. Il existe, en outre, un papier où sont inscrites les heures des te-rains qui vont vers le sud.

— Et pour ta nourriture ? »

Les lamas, en règle générale, portent quelque part sur leur personne une bonne provision d'argent, mais le conservateur voulait s'en assurer.

« Pendant le voyage je tendrai la sébile du Maître. Oui, de même qu'il chemina, j'irai, renonçant aux aises de mon monastère. Lorsque je quittai les Montagnes, un chela (disciple) m'accompagnait, qui mendiait pour moi, comme la règle l'ordonne, mais pendant une halte de quelques jours à Kulu, il prit la fièvre et mourut. Je n'ai plus de chela maintenant, mais j'offrirai moi-même ma sébile aux aumônes, donnant ainsi à l'homme charitable l'occasion de s'acquérir des mérites. »

Il hocha la tête vaillamment. Les moines instruits dans les lamaseries ne mendient point, mais le lama, tout à l'ardeur de sa recherche, était un enthousiaste.

« Soit, dit le conservateur en souriant. Souffre donc qu'en ce moment je m'acquière des mérites. Nous sommes, toi et moi, des hommes du même métier. Voici un carnet neuf de papier blanc d'Angleterre ; voici deux ou trois crayons taillés, des gros et des minces, tous utiles pour un scribe. Maintenant, prête-moi tes lunettes. »

Le conservateur regarda au travers. Le numéro des verres tout hachés de rayures était presque exactement celui des siennes. Il glissa celles-ci dans la main du lama en disant :

« Essaie-les.

— Une plume ! une vraie plume sur le visage ! (Le vieillard branlait la tête avec délices et fronçait le nez.) Je les sens à peine ! Comme j'y vois clair !

— Elles sont en bilaur (cristal) et jamais ne se rayeront. Puissent-elles t'aider à trouver ta Rivière, car elles sont à toi.

— Je les prends ainsi que les crayons et le carnet blanc, dit le lama, en signe d'amitié de prêtre à prêtre — et maintenant — (il mit la main à sa ceinture, en détacha l'écritoire de fer ajouré, et la posa sur la table du conservateur). Voici un souvenir de moi pour toi-même... mon écritoire. C'est quelque chose de vieux... comme moi. »

C'était un objet ancien, de travail chinois, ciselé dans un métal comme on n'en fond plus aujourd'hui, et vers lequel le cœur de collectionneur qui battait dans la poitrine de l'Anglais s'était senti entraîné dès le commencement. Pour rien au monde le lama n'eût repris son cadeau.

« Quand je reviendrai, après avoir trouvé ma Rivière, je t'apporterai une peinture écrite du Padma Samthora46 — telle que j'avais coutume d'en faire sur soie à la lamaserie. Oui... et de la Roue de Vie47 (il eut un petit rire), car nous sommes tous deux hommes de métier, toi et moi. »

Le conservateur aurait voulu le retenir. Il ne subsiste guère d'hommes qui détiennent encore le secret de ces peintures bouddhistes, à la plume, aux traits conventionnels, mi-partie écrites, mi-partie dessinées. Mais le lama s'éloigna à grands pas, la tête haute, et, après une courte pause devant la grande statue du Bodhisat en méditation, il sortit rapidement par le tourniquet.

Kim le suivit comme une ombre. Ce que son oreille avait surpris l'excitait au plus haut point. Cet homme constituait pour son expérience un objet absolument nouveau, et il tenait à pousser plus loin ses investigations, exactement comme s'il se fût agi d'une nouvelle bâtisse ou d'une fête inaccoutumée dans la ville de Lahore. Le lama était sa trouvaille, il se proposait d'en prendre possession. La mère de Kim était irlandaise aussi.

Le vieillard s'arrêta tout contre Zam-Zammah et regarda autour de lui jusqu'à ce que ses yeux tombassent sur Kim. L'inspiration et la ferveur de son pèlerinage ne le soutenant plus pour l'instant, il se sentait vieux, solitaire et l'estomac très creux.

« Ne t'assieds pas sous ce canon, dit le policeman avec hauteur.

— Hou ! Hibou ! » riposta Kim, au nom du lama. « Assieds-toi sous ce canon si ça te plaît. Quand est-ce que tu as volé les babouches de la laitière, Dunnoo ? »

C'était là la plus gratuite des accusations, jaillie sous l'impulsion du moment, mais elle réduisit au silence Dunnoo, qui savait le clair appel de Kim capable de faire surgir, le cas échéant, des légions de mauvais garnements du bazar.

« Et qui as-tu adoré là-dedans ? demanda Kim d'un ton affable, en s'accroupissant à l'ombre aux côtés du lama.

— Je n'ai adoré personne, enfant. Je me suis incliné seulement devant l'excellente Loi. »

Kim accepta sans sourciller cette nouvelle divinité. Il en connaissait déjà quelques douzaines d'autres.

« Et qu'est-ce que tu fais ?

— Je mendie. Je me rappelle à présent qu'il y a longtemps que je n'ai mangé ou bu. Quelles sont les habitudes en fait de charité dans cette ville ? La demande-t-on en silence, comme nous faisons, nous autres du Tibet, ou bien à voix haute ?

— Qui mendie en silence meurt de faim en silence », dit Kim en citant un proverbe indigène.

Le lama essaya de se lever, mais retomba en arrière, en soupirant après le disciple mort là-bas au lointain pays du Kulu. Kim regardait — la tête penchée de côté, dans une attitude de délibération et d'intérêt.

« Donne-moi ta sébile. Je connais les gens de cette ville, tous ceux du moins qui sont charitables. Donne, et je la rapporterai pleine. »

Avec la simplicité d'un enfant, le vieillard lui tendit la sébile.

« Repose-toi et sois tranquille. Moi, je connais les gens. »

Il trotta jusqu'à l'échoppe qui faisait vis-à-vis à la ligne du tramway desservant le Moti Bazar. La propriétaire, une femme Kunjri, marchande de légumes de basse caste, connaissait Kim de longue date.

« Oh ! Oh ! t'es-tu fait yogi, avec ta sébile ? s'écria-t-elle.

— Non, dit Kim avec orgueil. Il y a un nouveau prêtre dans la ville — un homme comme je n'en ai jamais vu.

— Vieux prêtre — jeune tigre, dit la femme avec humeur. J'en suis fatiguée des nouveaux prêtres ! Ils se mettent à nos marchandises comme des mouches. Est-ce que le père de mon enfant est un puits de charité pour donner à tous ceux qui demandent ?

— Non, dit Kim. Ton homme est plutôt yagi (de mauvais caractère) que yogi (un saint homme). Mais le prêtre est nouveau venu. Le sahib dans la Maison des Merveilles lui a parlé comme à un frère. Ô mère, mère, remplis-moi cette écuelle. Il attend.

— Cette écuelle, vraiment ! Il veut dire cette corbeille à panse de vache ! Tu y mets autant de grâce que le taureau sacré de Shiva48. Il m'a déjà pris le dessus d'un panier d'oignons ce matin ; et, voyez-moi cela, il me faut remplir ton écuelle. Le voilà qui revient ! »

Gris souris, nonchalant, énorme, le taureau brahmane du quartier se frayait sa route, à renfort de coups d'épaule, à travers la foule bigarrée, une banane volée pendant à sa gueule. Il se dirigea droit sur la boutique, fort de ses privilèges de bête sacrée49, baissa la tête et flaira pesamment la longue ligne de paniers avant de faire son choix. Pan ! le dur petit talon de Kim soudain envolé frappa le mufle moite et bleu. L'animal indigné renâcla, et s'éloigna en coupant les rails du tramway, des frémissements de rage tout le long de sa bosse.

« Vois ! j'en ai sauvé plus qu'il n'en faudrait pour remplir trois écuelles comme celle-là ! Maintenant, mère, une pincée de riz et un peu de poisson sec par-dessus, oui, et un peu de curry aux légumes. »

Un grognement partit du fond de la boutique, où un homme était couché.

« Il a fait partir le taureau, dit la femme, en aparté. C'est œuvre pie de donner aux pauvres. »

Elle prit l'écuelle et la rendit pleine de riz brûlant.

« Mais mon yogi n'est pas une vache, dit Kim en creusant gravement avec ses doigts un trou au sommet du tas. Un peu de curry n'est pas mauvais, et un gâteau frit et un peu de confiture ne seraient pas, je pense, pour lui déplaire.

— C'est un trou aussi gros que la tête », dit la femme d'une voix grondeuse.

Mais elle le remplit tout de même de bon curry fumant aux légumes, coiffa le riz d'une galette frite, avec un morceau de beurre clarifié sur la galette, flanqua le tout d'un peu d'assa fœtida aigre ; et Kim contempla son faix d'un œil attendri.

« Voilà qui est bien. Tant que je serai dans le bazar, le taureau n'approchera pas de cette maison-ci. C'est un mendiant effronté.

— Et toi ? dit la femme en riant. Tâche de bien parler des taureaux. Ne m'as-tu pas dit qu'un jour un taureau rouge sortirait d'un champ pour venir à ton aide ? Maintenant, tiens tout bien droit et demande au saint homme sa bénédiction pour moi. Peut-être aussi qu'il connaîtrait un remède pour ma fille qui a mal aux yeux. Demande-lui également, ô toi. Petit Ami de Tout au Monde ! »

Mais Kim était parti en dansant avant la fin de la phrase, et courait tout en faisant des feintes pour esquiver les chiens parias et les connaissances affamées.

« C'est ainsi qu'on mendie quand on sait s'y prendre, dit-il, avec orgueil, au lama qui ouvrait de grands yeux devant le contenu du plat. Mange maintenant, je vais manger avec toi. Ohé, bhistie ! (Il héla le porteur d'eau qui inondait les bordures de crotons du musée.) Donne de l'eau ici. Nous avons soif, nous autres hommes.

— Nous autres hommes ! dit le bhistie en riant. Suffira-t-il d'une pleine outre pour deux pareils compagnons ? Buvez donc, au nom du Compatissant50. »

Il fit jaillir un mince filet d'eau dans les mains de Kim, qui but à la mode indigène. Mais le lama se mit en devoir d'extraire une tasse des draperies supérieures de sa robe, inépuisable réserve, et but cérémonieusement.

« Pardesi (un étranger) », expliqua Kim, comme le vieillard prononçait dans une langue inconnue quelque chose qui ressemblait fort à une bénédiction.

Ils mangèrent ensemble avec grand contentement et nettoyèrent à fond l'écuelle. Puis le lama puisa du tabac à priser dans une considérable tabatière de bois, égrena son chapelet un instant, et s'abandonna peu à peu au calme sommeil du vieil âge, tandis que s'allongeait l'ombre de Zam-Zammah.

Kim flâna jusque chez la marchande de tabac la plus proche, jeune mahométane d'humeur plutôt accorte, et mendia l'aumône d'un de ces âpres cigares qu'on vend aux étudiants de l'Université du Pendjab qui singent les mœurs anglaises. Puis il se mit à fumer et à réfléchir, les genoux au menton, sous le ventre du canon, et conclut ses réflexions par un brusque et furtif départ dans la direction du chantier de Nila Ram.

Lorsque le lama se réveilla, la vie nocturne de la cité bruissait déjà par les rues, avec son cortège de lampes qui s'allument, de clercs et de commis en robe blanche, rentrant des bureaux du gouvernement. Ses yeux troublés errèrent dans toutes les directions, mais personne ne prenait garde à lui, sauf un gamin hindou en turban sale et vêtu de loques couleur isabelle. Soudain le vieillard posa la tête sur ses genoux et gémit.

« Qu'y a-t-il ? demanda l'enfant debout devant lui. Est-ce qu'on t'a volé ?

— C'est mon nouveau chela (mon disciple), qui m'a quitté, et je ne sais pas où il est.

— Et quelle sorte d'homme était-ce, ton disciple ?

— C'est un enfant qui me fut envoyé pour remplacer celui qui est mort. Il est venu à cause des mérites que je m'acquis en m'inclinant devant la Loi qui réside là (il désignait le musée), pour me montrer la route que j'avais perdue. Il me conduisit dans la Maison des Merveilles, et ses paroles me donnèrent le courage de parler au gardien des images, et par la suite, mon cœur se réjouit et fut fortifié. Et quand la faim me fit souffrir, il mendia pour moi, comme ferait un chela pour son maître. Il me fût envoyé d'une manière mystérieuse et il repartit de même. Je me promettais de lui apprendre la Loi en route, sur le chemin de Bénarès. »

Kim, à ce discours, demeura stupéfait, car il avait entendu la conversation dans le musée, et savait que le vieillard disait la vérité. C'est un don qu'un indigène ne prodigue pas volontiers à un étranger.

« Mais je vois bien maintenant qu'il m'a été envoyé à dessein. Par ce signe, j'en obtiens l'assurance, je trouverai certaine Rivière que je cherche.

— La Rivière de la Flèche ? dit Kim, avec un sourire de supériorité.

— Est-ce donc un autre message ? s'écria le lama. Ai-je parlé à quiconque de ce que je cherche, sauf au prêtre des images ? Qui es-tu ?

— Ton chela, dit Kim simplement, en s'asseyant sur ses talons. Je n'ai jamais vu personne qui te ressemble dans toute ma vie. Je vais avec toi à Bénarès. Et, en outre, je pense qu'un homme aussi vieux que toi, qui prêche au crépuscule à des rencontres de hasard, a grand besoin d'un disciple.

— Mais la Rivière — la Rivière de la Flèche ?

— Oh ! ça, j'en ai entendu parler quand tu causais avec l'Anglais. J'étais couché contre la porte. »

Le lama soupira :

« Je t'avais pris pour un envoyé. On a vu de telles choses, mais je n'en suis pas digne. Alors, tu ne connais pas la Rivière ?

— Non, je ne la connais pas. »

Kim eut un rire timide :

« Moi, je cherche — un taureau — un Taureau Rouge dans un champ vert, qui doit m'aider. »

À la manière des enfants, quand une connaissance lui faisait part d'un projet, Kim en avait toujours un à lui tout prêt ; et, toujours comme les enfants, il venait vraiment de réfléchir au moins vingt minutes de suite à la prophétie de son père.

« T'aider à quoi, enfant ? dit le lama.

— Dieu seul le sait, mais c'est ce que m'a dit mon père. J'ai entendu ta conversation dans la Maison des Merveilles, à propos de tous ces pays nouveaux et curieux dans les montagnes, et si quelqu'un de si vieux et de si peu — je veux dire si accoutumé à dire la vérité — peut se mettre en route, pour quoi ? pour une rivière, il m'a semblé qu'il me fallait, moi, m'en aller voyager. Je me lasse ici de la ville. Si c'est notre destin de découvrir ces choses, nous les découvrirons — toi, ta Rivière ; moi, mon Taureau et les grands piliers, et quelques autres choses que j'oublie.

— Ce ne sont pas des piliers, mais une Roue dont je voudrais m'affranchir, dit le lama.

— C'est tout un. Peut-être qu'on me fera roi, dit Kim, prêt à tout avec une égale sérénité.

— Je t'apprendrai sur la route d'autres et de plus beaux désirs, répliqua le lama d'un ton d'autorité. Allons à Bénarès.

— Pas de nuit. Les voleurs sont dehors. Attends le jour.

— Mais il n'y a pas d'endroit où dormir. »

Le vieillard était accoutumé à la discipline de son monastère, et, quoiqu'il dormît sur le sol, aux termes de la règle, il préférait observer quelque bienséance en ces choses.

« Nous trouverons bon gîte au caravansérail du Cachemire, dit Kim, riant de son air perplexe. J'ai là un ami. Viens ! »

Brûlants et grouillants, les bazars ruisselaient de lumière tandis qu'ils se frayaient leur route dans une foule où toutes les races de l'Inde septentrionale se mêlaient, et le lama se laissait ballotter comme en rêve. C'était sa première impression d'une grande ville, et les tramways encombrés l'effrayaient avec le grincement continu de leurs freins. Poussé de droite, tiré de gauche, il arriva devant la haute porte du caravansérail du Cachemire : vaste carré à ciel ouvert, adossé à la gare, et dont la ceinture de cloîtres en arcades abrite les caravanes de chameaux et de poneys à leur retour d'Asie centrale. Il y avait là toutes sortes de gens du Nord qui pansaient des chevaux entravés ou des chameaux à genoux ; chargeaient et déchargeaient des balles ou des paquets ; tiraient de l'eau pour le repas du soir près du puits aux poulies gémissantes ; empilaient de l'herbe devant les étalons qui hennissaient avec un cri aigu en roulant des yeux sauvages ; chassaient d'un revers de main les chiens hargneux des caravanes ; payaient des chameliers, engageaient de nouveaux domestiques ; jurant, hélant, discutant et marchandant entre les murs de la cour encombrée. Les cloîtres, auxquels on accédait par trois marches de maçonnerie, formaient un havre autour de cette mer turbulente. La plupart étaient loués à des marchands, comme on loue chez nous les arches d'un viaduc ; l'espace entre chaque pilier était divisé, par des cloisons de briques ou de planches, en chambres qu'interdisaient de lourdes portes de bois, à cadenas monumentaux de fabrication indigène. Les portes fermées indiquaient l'absence du propriétaire, et quelques traits grossiers — très grossiers parfois — à la craie ou au pinceau disaient où il était allé. Ainsi : « Lutuf Ullah est parti pour le Kurdistan. » Au-dessous, en vers malhabiles : « Ô Allah, qui permets aux poux de subsister sur l'habit d'un homme de Kaboul, comment as-tu permis à ce pou de Lutuf de vivre si longtemps ? »

Kim, protégeant le lama contre les atteintes d'hommes agités d'une part, de bêtes qui ne l'étaient pas moins de l'autre, longea les cloîtres jusqu'à leur extrémité la plus proche de la gare, où habitait Mahbub Ali, le maquignon, lorsqu'il descendait du pays mystérieux d'au-delà des Cols du Nord.

Kim, au cours de sa petite existence, avait entretenu nombre de rapports avec Mahbub — plus particulièrement entre sa dixième et sa treizième année. Celui-ci, grand Afghan à large carrure, la barbe teinte en rouge écarlate à la chaux vive (car il avançait en âge et ne se souciait pas de montrer son poil gris), jugeait à son prix le gamin comme informateur. Parfois il demandait à Kim de surveiller quelque individu qui n'avait rien au monde à voir avec les chevaux, de le suivre un jour entier à l'effet de rapporter le signalement des moindres personnes auxquelles il avait parlé. Kim se délivrait de son message le soir, et Mahbub écoutait sans un mot, sans un geste. Il s'agissait d'une intrigue quelconque, Kim le savait ; mais elle n'en valait la peine qu'à condition de ne dire quoi que ce soit à personne, sauf à Mahbub, lequel lui offrait, en échange, des repas somptueux tout chauds sortis de la boutique des victuailles, à l'entrée du sérail, et même, une fois, jusqu'à huit annas d'argent.

« Il est ici, dit Kim, écartant d'une tape le mufle d'un chameau récalcitrant. Ohé, Mahbub Ali ! »

Il fit halte devant une arcade enfumée, et se glissa derrière le lama ahuri.

Le maquignon, sa haute ceinture de Boukhara défaite, était vautré sur une paire de sacs d'arçon en tapis de soie, tout à la volupté d'aspirer paresseusement la fumée d'un immense houka d'argent. Il tourna très légèrement la tête en entendant l'appel, et, n'apercevant que la haute taille du vieillard silencieux, tira un petit rire de sa poitrine profonde.

« Allah ! Un lama ! Un lama rouge ! Il y a loin de Lahore aux Cols. Qu'est-ce que tu fais ici ?»

Le lama tendit machinalement la sébile.

« La malédiction de Dieu sur tous les mécréants, dit Mahbub. Je ne donne pas à un Tibétain pouilleux ; mais demande à mes Baltis51 là-bas, plus loin, derrière les chameaux. Ils feront peut-être cas de tes bénédictions. Hé là, palefreniers, voici un compatriote à vous. Voyez s'il n'a pas faim. »

Un Balti rasé, accroupi, descendu du Nord avec les chevaux, et lui-même, censément, sorte de bouddhiste dégénéré, s'en vint avec humilité saluer le prêtre, et en épaisses gutturales supplia le saint homme de prendre place au feu des palefreniers.

« Va ! » dit Kim, le poussant légèrement.

Et le lama s'éloigna à grands pas, laissant Kim au bord du cloître.

« Va-t'en ; dit Mahbub Ali, en revenant à son houka. Petit Hindou, sauve-toi. La malédiction de Dieu sur tous les infidèles ! Va mendier à ceux de ma suite qui sont de ta foi.

— Maharaj, pleurnicha Kim, en employant la formule hindoue, et jouissant du piquant de la situation, mon père est mort — ma mère est morte — j'ai le ventre vide.

— Je t'ai dit : demande à mes gens, parmi les chevaux. Il doit y avoir des Hindous dans ma suite.

— Oh ! Mahbub Ali, suis-je donc Hindou, moi ? » dit Kim, en anglais.

Le maquignon ne marqua aucun étonnement, mais il darda son regard sous ses sourcils en broussailles.

« Petit Ami de Tout au Monde, dit-il, que signifie ceci ?

— Rien. Je suis maintenant le disciple de ce saint homme ; et nous allons en pèlerinage ensemble — à Bénarès, dit-il. Il est tout à fait fou et je suis fatigué de la ville de Lahore. J'ai besoin d'air neuf et d'eau fraîche.

— Mais pour le compte de qui travailles-tu ? Pourquoi viens-tu à moi ? »

La voix avait pris le dur accent du soupçon.

« Vers quel autre viendrais-je ? Je n'ai pas d'argent. Cela ne vaut rien de se mettre en route sans argent. Tu vas vendre beaucoup de chevaux aux officiers. Ce sont de très beaux chevaux que les nouveaux : je les ai vus. Donne-moi une roupie, Mahbub Ali, et quand je serai riche, je te ferai un billet que je paierai.

— Hum ! dit Mahbub Ali, suivant le cours rapide de ses pensées. Tu ne m'as jamais menti. Appelle ce lama — tiens-toi là derrière dans l'obscurité.

— Oh ! nos histoires vont s'accorder, dit Kim en riant.

— Nous allons à Bénarès, dit le lama, dès qu'il comprit le sens des questions de Mahbub Ali, l'enfant et moi. Je m'en vais à la recherche de certaine Rivière.

— Cela se peut — mais l'enfant ?

— C'est mon disciple. Il a été envoyé, je pense, pour me guider vers cette Rivière. J'étais assis sous un canon, quand il parut soudain. Ces choses-là arrivent parfois aux fortunés qui se sont vu octroyer un guide. Mais maintenant, je me rappelle, il m'a dit qu'il était de cette partie du monde — Hindou de naissance.

— Et son nom ?

— Je ne lui ai pas demandé. N'est-il pas mon disciple ?

— Son pays, sa race, son village ? Musulman, Sikh52, Hindou, Jaïn, de basse ou de haute caste ?

— Pourquoi le lui demanderais-je ? Il n'y a ni bas ni haut dans la Voie moyenne. S'il est mon chela, va-t-on, veut-on, peut-on me l'enlever ? car voyez-vous, sans lui, je ne trouverai pas ma Rivière. »

Il hocha la tête avec solennité.

« Personne ne te le prendra. Va t'asseoir avec mes Baltis », dit Mahbub Ali. Et le lama s'éloigna, calmé par la promesse.

« N'est-ce pas qu'il est tout à fait fou ? dit Kim en s'avançant de nouveau en pleine lumière. Pourquoi te mentirais-je, Hadji ? »

Mahbub tira en silence quelques bouffées de son houka. Puis il commença, presque dans un murmure :

« Umballa est sur la route de Bénarès — si vraiment vous allez là ensemble.

— Tck ! Tck ! Je te dis qu'il ne sait pas mentir — il n'est pas comme nous deux.

— Et si tu veux porter un message pour moi jusqu'à Umballa, je te donnerai de l'argent. Il s'agit d'un cheval, un étalon blanc que j'ai vendu à un officier, lors de mon dernier retour des Cols. Mais, à ce moment — viens plus près et tends les mains comme si tu mendiais — le pedigree de l'étalon blanc n'était pas tout à fait dressé, et cet officier qui habite maintenant Umballa me pria de le mettre au net. (Ici Mahbub décrivit le cheval et la tournure de l'officier.) Voici donc le message pour l'officier : « Le pedigree de l'étalon blanc est tout à fait établi. » Il saura par ces paroles que tu viens de ma part. Alors, il te dira ; « Quelle preuve as-tu à me fournir ? » et tu répondras ; « Mahbub Ali m'a donné la preuve. »

— Et tout cela pour les beaux yeux d'un étalon blanc, dit Kim, en ricanant et l'œil allumé.

— Ce pedigree, je vais maintenant te le donner, à ma manière, et quelques dures paroles par-dessus le marché. »

Une ombre passa derrière Kim suivie d'un chameau en quête de provende. Mahbub Ali éleva la voix

« Allah ! Es-tu donc le seul mendiant de la ville ? Ta mère est morte. Ton père est mort. Ils sont tous les mêmes. Eh bien, eh bien... »

Il se retourna comme pour tâter le sol à côté de lui et jeta à l'enfant une galette de pain musulman53, graisseux et mou.

« Va-t'en coucher avec mes palefreniers pour cette nuit, toi et le lama. Il se peut que demain je trouve à t'occuper. »

Kim s'esquiva, les dents à même le pain, et, comme il s'y attendait, il y trouva un petit paquet plat de papier de soie enveloppé de toile cirée, ainsi que trois roupies d'argent, prodigieuse largesse. Il sourit, et il fourra argent et papier dans son étui de cuir à amulette. Le lama, somptueusement nourri par les Baltis de Mahbub, dormait déjà dans le coin d'une stalle. Kim s'étendit auprès de lui et se mit à rire. Il savait qu'il avait rendu service à Mahbub Ali, et pas une seule minute il ne prêta créance à l'histoire du pedigree de l'étalon.

Mais Kim ne soupçonnait pas que Mahbub Ali, connu comme l'un des meilleurs marchands de chevaux du Pendjab, marchand riche et industrieux, dont les caravanes pénétraient loin, très loin dans l'arrière-fond de là-bas, portait dans l'un des livres secrets du Service topographique de l'Inde54, le matricule C. 25. 1 B. Deux ou trois fois par an C. 25 envoyait une petite histoire, racontée sans art, mais fort intéressante, et généralement — elle subissait le contrôle des rapports de R. 17 et M. 4 — parfaitement vraie. Elle concernait toutes sortes de petites principautés perdues dans la montagne, ou bien des explorateurs de nationalité autre qu'anglaise, ou le commerce des fusils. Elle ne formait, en résumé, qu'une faible portion de cette masse d' « information reçue » d'après laquelle agit le gouvernement de l'Inde. Mais récemment, cinq rois confédérés, et qui n'avaient que faire de se confédérer, avaient été avisés par une puissance bienveillante et septentrionale55 que des fuites de renseignements se produisaient entre leurs territoires et l'Inde britannique. Là-dessus les Premiers ministres de ces rois, grandement contrariés, prirent des mesures suivant la mode orientale. Ils soupçonnaient, entre beaucoup d'autres, le brutal maquignon à barbe rouge, dont les caravanes sillonnaient dans la neige jusqu'au ventre leurs solitudes hostiles. Du moins sa caravane, cette saison-là, avait-elle essuyé deux embuscades et des coups de feu à la descente, affaires dont les gens de Mahbub gardaient sur la conscience trois cadavres suspects de ruffians, aussi capables d'avoir été payés pour faire le coup que du contraire. En conséquence, Mahbub avait évité de s'arrêter dans la très insalubre ville de Peshawar, et était venu d'une traite à Lahore où, connaissant ses compatriotes, il prévoyait aux circonstances de curieux développements.

Et la personne de Mahbub Ali dissimulait une chose qu'il ne désirait pas garder par-devers lui une heure de plus qu'il n'était nécessaire — un placard de papier de soie, plié très mince, enveloppé de toile cirée — simple exposé sans caractère personnel, sans adresse, percé à un coin de cinq microscopiques trous d'épingle, lesquels trahissaient le plus scandaleusement du monde les cinq rois confédérés, la puissance bienveillante et septentrionale, un banquier hindou de Peshawar, une manufacture d'armes en Belgique, et un prince mahométan semi-indépendant du Sud, personnage d'importance. Ce document, œuvre de R. 17, Mahbub l'avait recueilli en route au revers du col de Dora, et il le portait à destination pour le compte de ce R. 17, lequel, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, ne pouvait quitter son poste d'observation. La dynamite n'était qu'onction et innocence auprès de ce rapport de C. 25 ; et même un Oriental, avec des notions d'Oriental sur la valeur du temps, devait se rendre compte que plus tôt il serait remis en bonnes mains, mieux cela vaudrait. Mahbub n'avait nullement le désir de mourir de mort violente, à cause de deux ou trois vendettas de famille qui lui restaient encore sur les bras, et une fois ces différends-là réglés, il comptait bien s'établir en citoyen plus ou moins honnête. Il n'avait pas franchi la porte du caravansérail depuis son arrivée, le jour précédent, mais il avait envoyé ostensiblement des télégrammes à Bombay où il possédait une réserve d'argent, à Delhi où un sous-associé de sa propre tribu vendait des chevaux à l'agent d'un État du Rajpoutana, et à Umballa où un Anglais réclamait avec véhémence le pedigree d'un étalon blanc. L'écrivain public, qui connaissait l'anglais, composa d'excellents télégrammes tels que : « Banque Creighton Laurel, Umballa. — Cheval est arabe, comme déjà notifié. Pedigree que traduis présentement tristement en retard. » Et plus tard à la même adresse : « Extrêmement triste retard. Vais envoyer pedigree. » Au sous-associé de Delhi, il télégraphia : « Lutuf Ullah. — Ai envoyé mandat télégraphique deux mille roupies à votre crédit banque Luchman Narain. » Il ne s'agissait là que de transactions commerciales ; chacun de ces télégrammes pourtant subit force analyses et discussions, de la part de personnes qui s'y considéraient intéressées, avant d'atteindre la gare aux mains d'un Balti stupide qui laissait toutes sortes de gens les déchiffrer en route.

À présent que, selon le langage pittoresque de Mahbub, il avait bien troublé la citerne de la curiosité à l'aide du bâton de la précaution, Kim tombait à propos, véritable envoyé du Ciel ; et, aussi prompt de décision que léger de scrupules, Mahbub Ali, habitué à mettre à profit toutes les sautes du vent de l'occasion, se servit de Kim sur-le-champ.

Un lama vagabond avec un enfant de basse caste comme domestique pouvait, à courir l'Inde, terre des pèlerins, frapper l'attention un moment, mais nul ne songerait à les soupçonner, ni, question plus essentielle, à les voler.

Il fit apporter de nouvelles braises pour son houka, et examina le cas. Si les choses en venaient au pire et qu'il arrivât malheur à l'enfant, le papier ne pouvait incriminer personne. Et il ne lui resterait alors, à lui, Mahbub Ali, qu'à remonter sans se presser à Umballa, et là, au risque d'exciter de nouveaux soupçons, à répéter verbalement son histoire aux intéressés.

Mais le rapport de R. 17 formait le noyau de toute l'affaire, et il y aurait inconvénient grave à ce qu'il manquât sa destination. Toutefois, Dieu était grand, et Mahbub Ali gardait la conscience d'avoir accompli tout ce qu'il pouvait pour le temps présent. Kim était le seul être au monde qui ne lui eût jamais fait un mensonge. Cette particularité eût marqué nonobstant d'une tare inexplicable le caractère de Kim, au cas où Mahbub eût ignoré qu'au reste des hommes, pour ses propres fins ou pour les affaires de Mahbub, Kim pouvait mentir comme tout Oriental.

Puis Mahbub Ali s'achemina pesamment à travers le caravansérail jusqu'à la porte des Harpies, qui peignent leurs yeux et dressent des embûches à l'étranger. Là, il se mit en devoir de rendre visite à certaine personne qu'il soupçonnait, pour raisons à lui connues, de tenir en faveur particulière un clerc cachemiri à face glabre, lequel avait retardé au passage son Balti, naïf porteur de télégrammes. C'était là un acte d'insigne folie, car ils se mirent contre la loi du prophète à boire de l'eau-de-vie parfumée, et Mahbub, bientôt merveilleusement ivre, ne contint plus l'abondance de sa langue, et il poursuivit la Fleur de Délices avec les pieds de l'intoxication jusqu'à ce qu'il chût à plat parmi les coussins, où la Fleur de Délices, aidée du clerc cachemiri à face glabre, le fouilla des pieds à la tête le plus consciencieusement du monde.

Vers la même heure, Kim entendit des pas étouffés dans la stalle déserte de Mahbub. Fait assez curieux, le marchand de chevaux n'avait pas verrouillé sa porte, et ses gens étaient occupés à célébrer leur retour dans l'Inde aux frais d'un mouton entier dû à sa munificence. Un mince gentleman de Delhi, armé d'un trousseau de clefs que la Fleur de Délices avait pris à la ceinture de l'égaré, visita chaque caisse, chaque ballot, la moindre natte, le plus humble sac d'arçon parmi le bagage de Mahbub, avec plus de méthode encore que la Fleur de Délices et le clerc n'avaient fouillé le propriétaire de ces biens.

« Et je pense, dit une heure plus tard la Fleur, d'un air méprisant, son coude arrondi sur la carcasse ronflante, que ce n'est rien de plus qu'un pourceau de maquignon afghan qui ne rêve que femmes et chevaux. Toutefois, il peut s'en être débarrassé déjà, s'il eut jamais charge pareille.

— Non, en une affaire qui touche cinq rois il gardait la chose tout contre son cœur noir, dit le clerc. Il n'avait rien ? »

L'homme de Delhi se mit à rire en rentrant.

« J'ai regardé entre les semelles de ses babouches, comme la Fleur a fouillé son turban. Ce n'est pas notre homme, mais un autre. Je n'ai pas coutume de chercher à demi.

— Ils n'ont pas dit que c'était précisément l'homme, dit le clerc d'un air pensif. Ils ont dit ; « Voyez si ce n'est point l'homme, puisque nos conseils sont troublés. »

— Ces pays du Nord grouillent de maquignons comme un vieil habit de poux. Il y a Sikandar Khan, Nur Ali Beg et Farrukh Shah — tous chefs de Kafilas (caravanes) — qui trafiquent ici, dit la Fleur.

— Ils ne sont pas encore arrivés, dit le clerc. Il te faudra tendre des pièges quand ils viendront.

— Peuh ! dit la Fleur d'un air profondément dégoûté, en faisant rouler de son giron la tête de Mahbub. Je gagne bien mon argent. Farrukh Shah est un ours, Ali Beg un braillard, et le vieux Sikandar Khan — yaïe ! Allez ! je vais dormir maintenant. Ce pourceau ne va plus bouger avant l'aube. »

Quand Mahbub se réveilla, la Fleur le sermonna d'un ton sévère à propos du péché d'ivresse. L'Asiatique ne cligne pas de l'œil lorsqu'il a déjoué les manœuvres d'un ennemi, mais Mahbub, après avoir toussé pour s'éclaircir la voix, rajusté sa ceinture et fait quelques pas chancelants, sous les étoiles matinales, faillit le faire :

« En voilà un tour de poulain ! se dit-il. Comme si toutes les filles de Peshawar n'en usaient pas ! Mais ce fut gentiment fait. Maintenant, Dieu sait combien il y en a encore sur la route, qui ont ordre de m'éprouver — fût-ce du couteau. Il faut, c'est le plus clair, que le gamin aille à Umballa, et par chemin de fer, car la remise de l'écrit presse. Je reste ici à courtiser la Fleur et à boire du vin, en bon marchand afghan. »

Il fit halte devant la seconde stalle avant la sienne. Les hommes l'occupaient, terrassés de sommeil ; on ne voyait aucune trace de Kim ni du lama.

« Debout ! (il secoua un dormeur). Où sont allés ceux qui ont couché là hier soir, le lama et l'enfant ? Ne manque-t-il rien ?

— Non, grogna l'homme, le vieux fou s'est levé au second chant du coq, en disant qu'il allait à Bénarès, et le jeune l'a emmené.

— La malédiction d'Allah sur tous les infidèles ! » dit Mahbub jovialement.

Et il grimpa dans sa propre stalle, en grommelant dans sa barbe.

Mais c'était Kim qui avait éveillé le lama. Kim qui, l'œil collé au trou d'un nœud de bois dans la cloison, avait vu l'homme de Delhi fouiller les caisses. Ce n'est pas un voleur ordinaire qui eût ainsi bouleversé lettres, notes et selles, ni un filou vulgaire qui eût introduit de côté une lame de petit couteau entre la semelle des babouches de Mahbub, ou si prestement sondé les doublures de ses sacs d'argent. D'abord, Kim avait pensé à donner l'alarme — le long cri de cho-or-choor ! (au voleur ! au voleur !) qui parfois incendie le caravansérail la nuit ; mais en y regardant de plus près, la main sur son amulette, il tira ses propres conclusions :

« Ce doit être le pedigree du fameux soi-disant cheval, se dit-il, la chose que je porte à Umballa. Il vaut mieux partir maintenant. Ceux qui fouillent les sacs avec des couteaux peuvent se mettre à fouiller les ventres de même. Pour sûr il y a une femme derrière ça. Haï ! Haï ! dit-il en un murmure, penché sur le sommeil léger du vieillard. Viens, il est temps — temps de partir pour Bénarès. »

Le lama se leva docilement, et ils franchirent comme des ombres les portes du caravansérail.



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Notes relatives à ce chapitre.

1 Voir Mathieu, 7, 14 : « Que la porte de la vie est petite, que la voie qui y mène est étroite, et qu'il y en a peu qui la trouvent ! » retour

2 Tophet : littéralement, le « bûcher ». Il s'agit du lieu de sacrifice d'enfants au dieu Moloch, situé dans la vallée de Ben Hinnom, au sud de Jérusalem. Voir Isaïe, 30, 33. retour

3 Kamakura : lieu de pèlerinage bouddhiste, au Japon, célèbre pour sa statue gigantesque de Bouddha. retour

4 Bouddha à Kamakura : Les exergues des chapitres ne figuraient pas dans la version originale. Je les ai rétablis en utilisant le texte de l'édition Sussex (revue par l'auteur), qui introduit une ou deux variantes par rapport à la première édition MacMillan. Dans la première édition, le titre Bouddha à Kamakura ne figurait pas à la suite des exergues des trois premiers chapitres. retour

5 Zam-Zammah : ce canon du XVIIIème siècle se trouve encore, à ce jour, devant le musée de Lahore. retour

6 Musée de Lahore : le père de Kipling, John Lockwood Kipling, fut conservateur de ce musée de 1875 à 1894 et servit de modèle au personnage du conservateur. retour

7 Mavericks : le nom de ce régiment imaginaire a déjà été utilisé par Kipling dans la nouvelle « La mutinerie des Mavericks » (Les handicaps de la vie). Le nom vient d'un éleveur texan du nom de Maverick dont le bétail n'était pas marqué. Par extension, le mot en est venu à désigner une personne indépendante ou rebelle. La destinée de Kim se trouve donc également inscrite dans le nom. retour

8 Ne varietur : « ne doit pas changer ». L'inscription figurait sur les certificats d'appartenance à une loge maçonnique. retour

9 Certificat de libération : certificat qui autorise le transfert d'un membre de la loge. retour

10 Loge maçonnique : Kipling lui-même appartint à cette loge qui avait la particularité d'admettre des gens de confessions et de nationalités différentes. retour

11 La corne est un symbole biblique de force et de puissance. retour

12 Colonnes : cet emblème maçonnique renvoie aux colonnes du temple de Salomon à Jérusalem. retour

13 Le fort de Lahore, construit par l'empereur Akbar à la fin du XVIème siècle, se trouve de l'autre côté de la ville par rapport à la porte de Delhi. retour

14 Haroun-al-Rachid : on aura reconnu le célèbre calife de Bagdad qui apparaît dans Les Mille et Une Nuits. retour

15 Moti Bazar : littéralement : « le bazar de la perle ». retour

16 Pendjabi : cette langue d'origine indo-européenne est parlée au Pendjab. retour

17 Voie du Milieu : l'expression désigne le moyen terme pour les bouddhistes, entre l'ascétisme et l'excès. retour

18 Quatre Lieux saints : ce sont le lieu de naissance de Bouddha (Kapilavastu), le lieu où il s'éveilla (Bodhgaya), le lieu où il donna son premier sermon (Samath), et le lieu de sa mort (Kusinagara). retour

19 Sculptures gréco-bouddhistes : l'influence grecque sur l'art de cette région remonte à Alexandre. Autrement appelé art du Gandhara, cet art est probablement le premier à avoir représenté Bouddha : il mélange influences grecques et indiennes. retour

20 Bouddhas de l'ancien temps : selon Bouddha, il y eut quatre bouddhas avant lui. retour

21 Sakyamuni : cet autre nom de Bouddha signifie le « sage des Sakya » ; Sakya est le nom du clan de Gautama. retour

22 Maya : il s'agit de la mère de Bouddha. retour

23 Ananda était un cousin et disciple de Bouddha. retour

24 Cette « admirable invocation bouddhique » est de Kipling ; on la retrouve dans la version complète du poème « Bouddha à Kamakura », dont elle constitue les trois premiers vers de la deuxième strophe. retour

25 L'Annonciation est le rêve que fit Maya où elle aurait conçu Bouddha par un éléphant blanc à six défenses pénétrant son sein. retour

26 Asita est l'ermite qui prédit au roi Shuddodana, père de Bouddha, un grand avenir pour celui-ci. retour

27 Siméon : ce vieillard du Temple reconnut en Jésus le Sauveur. Voir Luc, 2, 25 à 35. retour

28 Devadatta, roi de Bénarès et cousin de Bouddha, aurait fait trois tentatives pour le tuer. retour

29 Impureté : il s'agit vraisemblablement de la femme aux serpents venue maudire Bouddha alors qu'il méditait, et qu'il fit taire par son calme. Cet épisode est raconté par Edwin Arnold, The Light of Asia or The Great Renunciation, Londres, Trübner & Co., 1879, p. 164. Un autre épisode (The Jûtaka or Stories of the Buddha's Former Births, trad. (du pâli) sous la direction de E. B. Cowell, Cambridge, Cambridge University Press, 1895-1913, livre I, n° 63, vol. I, pp. 156-157) raconte comment une femme qu'il avait sauvée de la noyade le fit tomber amoureux d'elle pour pouvoir le tromper, et comment il fut sauvé par un brigand qui la tua et devint ermite en sa compagnie. retour

30 Parc aux daims : situé à Sarnath, près de Bénarès, c'est le lieu du premier sermon prononcé par Bouddha. retour

31 Adorateurs du feu : Gautama était opposé à la vénération du feu, et notamment au sacrifice par le feu, telle que la prescrivaient, selon lui, les Védas. D'autre part les miracles qui lui sont attribués sont nombreux ; peut-être s'agit-il de l'épisode où il éteignit le feu d'une forêt (voir The Jûtaka or Stories of the Buddha's Former Births, édition citée, 1895-1913, livre I, n° 35, vol. I, p. 88). Il peut s'agir également de l'épisode au cours duquel Gautama passa six ans avec un groupe d'ascètes : l'une des épreuves consistait à s'asseoir au milieu d'un cercle de cinq feux. retour

32 Prince : le Bodhisat est souvent représenté sous les traits d'un prince. retour

33 Naissance miraculeuse : Gautama serait né du flanc droit de sa mère qui se tenait à la branche d'un arbre. retour

34 Disciple faible : la douleur d'Ananda, au chevet du lit de Gautama, fut telle qu'il éclata en sanglots, avant d'être réconforté par celui-ci dans ses derniers instants. retour

35 Arbre Bodhi : cet arbre est le figuier sous lequel Gautama médita et s' « éveilla ». retour

36 Adoration de la Sébile : il peut s'agir de l'épisode raconté par E. Arnold (ouvrage cité, p. 114) où Gautama passait dans les rues avec sa sébile et les villageois se pressaient pour lui faire des offrandes. L'adoration des objets religieux fait partie des cultes introduits bien après la mort de Siddharta. retour

37 Fo-Hian et Hwen-Thiang : ces deux célèbres sages chinois vinrent en Inde respectivement aux Vème et VIIème siècles ; ils en rapportèrent des textes bouddhiques. retour

38 Beal : (1825-1889) ; il est auteur et traducteur de livres sur le Tibet et le bouddhisme. retour

39 Stanislas Julien (1799-1873) est le traducteur français de la vie de Hwen-Thiang. retour

40 Royaume du milieu : l'expression désigne ici l'Inde du Nord. retour

41 Roue des Choses : la roue est une métaphore qui revient fréquemment dans les enseignements de Bouddha pour désigner le cycle de la vie et des réincarnations. C'est un thème important dans le roman, souvent mentionné par le lama, mais utilisé aussi par le narrateur pour parler du cours de la vie ; voir par exemple : « Kim se jeta de tout cœur dans l'inconnu où l'emportait ce nouveau tour de roue. » retour

42 La flèche s'envola loin : archer émérite, Gautama dut se mesurer à d'autres jeunes pour pouvoir se marier, car il avait seize ans seulement et n'était pas en âge de prendre femme. La légende raconte que la flèche disparut (voir E. Arnold, ouvrage cité, p. 32 et suivantes) mais ne fait pas état de cette rivière miraculeuse. P.-E. Foucaux (Histoire du Bouddha Sakya Mouni, traduit du tibétain par P.-E. Foucaux, Paris, Benjamin Duprat, 1860) raconte en revanche qu'à l'endroit où entra la flèche, il se forma un puits qui est appelé « le puits de la flèche ». Comme le suggère Charles Ramble (« The Creation of the Bon Mountain of Kongpo » dans Paysages et mandala, éditeur A. W. Macdonald), Kipling a pu également obtenir cette légende chez W. W. Rockhill, The Life of the Buddha and the Early History of his Order, Londres, Kegan Paul, 1884. Notons que certaines légendes ne rapportent pas l'événement à la demande en mariage, mais à un concours destiné à montrer que Siddharta était apte à gouverner. retour

43 N'étant pas de la Loi : c'est-à-dire qui n'appartient pas à la religion bouddhiste. retour

44 Liés : ils sont liés car, comme tout homme, prisonniers des renaissances. retour

45 Jaïn : Mahavira, contemporain de Gautama, fonde le jaïnisme. Il prône un ascétisme rigoureux pour se libérer du cycle des renaissances, et met en avant, comme le bouddhisme, la méditation. Ces deux religions ne sont pas très éloignées, ce qui explique par exemple que le lama séjourne dans un temple jaïn à Bénarès. On compte aujourd'hui encore environ trois millions de jaïns en Inde. retour

46 Padma Samthora : Padma signifie « lotus » ; Samthora est vraisemblablement une déformation de Samsâra, qui désigne le cycle des naissances. Dans le contexte, l'expression renvoie à une représentation picturale de la roue de la vie. retour

47 Roue de la vie : la roue de la vie représente le cycle des renaissances. retour

48 Taureau sacré de Shiva : Nandi, la monture de Shiva : ce dernier est l'une des divinités principales de l'hindouisme (avec Brahma et Vishnu). retour

49 Bête sacrée : la vache, considérée comme un avatar de Vishnu, est un animal sacré en Inde. retour

50 Compatissant : l'expression désigne Allah. retour

51 Baltis : le mot renvoie ici aux porteurs d'origine balti. retour

52 Le sikhisme est une religion indienne fondée au XVème siècle par Guru Nanak et qui se voulait à l'origine une synthèse entre l'hindouisme et l'Islam. Les Sikhs sont présents avant tout au Pendjab. Ils portent la barbe et les cheveux non coupés et sont traditionnellement des guerriers ; ils s'allièrent aux Anglais à partir du milieu du XIXème siècle. Voir le sarcasme du soldat à l'égard des Sikhs, (au milieu du chapitre II). retour

53 Pain musulman : ce pain, autrement appelé chapati, est un pain plat. retour

54 Le Service topographique était chargé du recensement des terres, tâche d'une importance considérable pour l'administration anglaise car elle offrait un moyen de contrôle sur le pays. retour

55 Puissance bienveillante et septentrionale : il s'agit de la Russie dont les menées expansionnistes en Asie centrale inquiétaient les Anglais. retour
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